jeudi 2 avril 2015

En territoire ennemi (Didier Goux)

En territoire ennemi, Didier Goux s'y sent assurément. Il n'est qu'à aller consulter son blogue. Ses réactions vis-à-vis de cette époque, à laquelle décidément il s'accorde avec difficulté et qui nourrit son inspiration, ne s'adressent ni aux tièdes ni aux repentants... Mais ce livre qui puise dans ses textes livrés à la Toile est loin d'être une compilation de ruminations et d'humeurs. On trouve dans ces pages des réflexions, des analyses parfois d'un jour, parfois plus profondes mais d'une grande lucidité. Ce sont celles, tour à tour d'un citoyen (quoique ce terme ne soit pas le plus approprié pour un anti-moderne de la trempe de l'auteur), d'un lecteur compulsif, d'un époux, d'un mâle blanc hétérosexuel modérément chrétien et qui aime la vie et ses plaisirs. Au sein de ces 400 pages, il y a ce qui fut : principalement la musique et la littérature (Proust, Dostoïevski, Balzac...) ; des âges révélateurs d'une culture servie par de réels talents et appelée à nous survivre. Il y a aussi cette époque, « la nôtre », envers laquelle Goux se montre nettement plus polémique et intempestif. Il y évoque la figure de son ami Renaud Camus et de Philippe Muray (avec lequel Goux écrivit en alternance quelques centaines de volumes de la série Brigade Mondaine !). On pourra lire dans cette section ses plus percutantes formules, telle celle-ci : « (…) nous plaignons les malheureux progressistes de continuer à errer comme ils font dans les brouillards de leur jeunesse attardée »... Et puis il y a ce qui est éternel, pas toujours visible, les choses, la condition humaine et animale. C'est, le plus souvent, une succession de scènes vues ou vécues qui peuvent sembler anodines et innocentes mais que l'auteur, peu enclin à sacrifier à l'air d'un temps saturé par l'ingénuité de l'idéologie des droits de l'homme, replace dans la réalité de leur dimension. Les voyages en train, le mariage, le rituel des apéritifs, le tourisme de masse, l'Éducation nationale, le droit du sang, l'homophobie, la religion, la grande famille du monde de l'édition et du cinéma, le bon emploi des mots, les méfaits du communisme et de l'islam, le journalisme (milieu que Goux connaît bien pour travailler dans la presse à scandale), les blogueurs, et bien plus encore : dans ces textes, où se mêlent habilement sagacité et alacrité, chacun trouvera largement de quoi picorer et faire son miel.


Aux Thermopyles


Le Songe d'Empédocle (Christopher Gérard)


Le précédent tirage de ce roman étant épuisé, et eu égard surtout à sa qualité, il était souhaitable de procéder à une réédition (première parution en 2003). C'est chose faite avec, en prime, une version révisée par l'auteur.

Qui n'a pas connu ou fréquenté Christopher Gérard découvrira un écrivain digne d'une civilisation qui ne cherche pas à se fondre dans l'universalisme et la globalisation ambiantes ; une civilisation - nous dirons : indo-européenne - animée par les mânes et la pensée de ses grands anciens, héros, éducateurs et esprits intrépides. Depuis Jünger et Montherlant, peu nombreux sont, hélas, les auteurs qui ont un héritage à transmettre. Avec Le Songe d’Empédocle, pour ainsi dire au cœur de l'œuvre de Christopher Gérard, la relève semble assurée. Celui-ci a rejoint en effet le cercle très fermé des authentiques écrivains païens qui, contre bigots et dévots, ont fait le choix de consacrer au vaste monde des sens et des idées. Il n’est pas anodin que Jean Mabire, Gabriel Matzneff, Alain Daniélou (et peut-être aussi Arno Breker...) soient évoqués dans cette histoire. Ces figures n'ont-elles pas brandi le flambeau d'Athènes, de Rome, d'Avalon, de Bénarès et, plus généralement, d'une transcendance qui aura forgé l'âme d'une grande civilisation ? Du moins Oribase, le héros de Gérard, voyage-t-il en excellente compagnie. A sa suite, le lecteur se trouve convié à emprunter un itinéraire qui ne doit rien à l’errance et au hasard. De la forêt de Brocéliande aux rives du Gange, en passant par le Capitole, le jeune homme franchit peu à peu les étapes de son initiation auprès de quelques sages, hommes remarquables, éveillés et initiés dont on n'ose plus croire à l'existence. Un parcours hautement édifiant où l'on sent que l'auteur s'est investi pour fournir au lecteur (attentif !) une multitude de pistes, de repères et d'indices, l’encourageant à échapper à la médiocrité, à l'exténuation et à la perte de mémoire. Plus qu'un hommage sincère aux dieux et à la volonté d’être, ce livre invite à une incursion dans le champ du possible tout à fait stimulante.