dimanche 5 octobre 2014

Rome éternelle


Le sexe et l'effroi (Pascal Quignard)




Pascal Quignard est un connaisseur et un adepte du monde romain, mais pas n'importe lequel. Avec Albucius, il nous avait proposé une petite anthologie de textes licencieux. Avec Le sexe et l'effroi, (on se demande bien d'ailleurs vraiment où est l'effroi), il s'intéresse à un e Rome adepte de Bacchus et de Vénus. Il revisite le mythe et l'Histoire avec talent, nous rappelle que la vertu romaine est avant tout virilité, que Romus et Rémulus sont nés du viol de Rea Silvia par Mars, que les foyers étaient décorés de nombreuses statuettes obscènes, que chaque rapport amoureux était régi par la nécessité de préserver la caste, et que tant que l'esclave ne pédiquait pas son maître la morale était sauve. La sève virile, l'ébullition de Vénus contre l'ordre de la cité : tel fut le combat des Latins. Ovide, Messaline, Apulée et Horace en firent leur miel ; Juvénal la matière de ses « Satires ». L'on apprendra aussi que, bien avant l'arrivée des chrétiens, Rome se moralisa, s'auto-réprima pour tomber toute cuite dans les griffes de Paul de Tarse, de Grégoire et d'Athanase. Finies les baignades des jeunes vierges nues dans les flots marins et la dégustation du con des patriciennes qui se prostituaient pour honorer les dieux. O tempora ! O mores !


Jas des terres du Roux



Montagne de Lure, au-dessus du Contadour.

Les récits de la demi-brigade (Jean Giono)



Ecrites entre 1955 et 1965, les quatre nouvelles qui composent ce recueil nous entraîne des Alpes de Provence aux Cévennes pendant la Restauration. Le narrateur, Martial Langlois, ancien soldat des armées impériales devenu capitaine de gendarmerie, y croise des bandits de grands chemins, des comploteurs légitimistes, des préfets carriéristes. Ayant fait la loi, sabre au clair, aux côtés de Soult, il en est réduit dès lors à l'appliquer. Serviteur du régime, il fait son métier avec une certaine désinvolture et du détachement, mais risquant sa vie et tuant au besoin, avec ce qu'il faut de recul pour ne pas être dupe. Lucide, il se définit lui-même ainsi : « Ce n'est pas que je sois un héros. Je ne les aime guère et je m'arrange fort bien de la vie ordinaire. Mais le travail bien fait est encore ce que j'ai de mieux pour me distraire. » On sent dans ces récits, débarrassés du lyrisme de ses premiers romans, la nostalgie de Giono pour une terre encore frustre et mystérieuse, peuplée d'être de chair et surtout de sang, qui n'hésitent pas à quitter leur labeur pour pratiquer le brigandage.


Ernst von Dombrowski


La chute de Berlin (Antony Beevor)


Après Stalingrad, l'historien britannique Antony Beevor procède à la restitution de la chute de la capitale du Reich. Plus qu'un livre d'histoire, c'est aussi une étude sur la nature humaine, ses caractères, ses forces et ses faiblesses. Y sont aussi pointées les lourdeurs de la bureaucratie nazie, les désillusions de ses généraux (Paulus) et le jusqu'au boutisme (le suicide programmé des six enfants de Goebbels). Mais ce qui frappe plus encore dans ce livre c'est l'évocation des souffrances et des sacrifices du peuple allemand, un peuple, propagande aidant, qui n'était pas préparé à la défaite. Au plus fort de la débâcle, le général Strecker ne pourra s'empêcher de formuler : « Qu'a donc fait l'Allemagne à Dieu pour qu'il nous ait envoyé Hitler ? » Rien ne va plus et notamment avec l'arrivée du rouleau compresseur bolchévique qui, pour entrer dans Berlin avant les Alliés, se montre prêt à envisager les pertes humaines les plus lourdes dans ses rangs mêmes. Sur l'avancée soviétique, Breevor fait remarquer qu'elle aurait été grandement retardée sans le concours des nombreux camions prêtés par les Etats-Unis. Cette marche contre le fascisme provoquera des dégâts considérables : en sus des morts, deux millions de femmes violées. Le torpillage par les Russes du navire-hôpital Goya témoigne entre autres de leur farouche volonté de destruction. Il est étonnant de voie ensuite la connivence s'installer entre Berlinois et occupants soviétiques. Etonnant également de voir de quelle manière seront traités les communistes allemands par leurs supposés libérateurs : ceux-ci ne pouvant admettre en effet que les ouvriers n'aient montré aucune opposition à l'invasion de l'URSS et que les seules tentatives d'éliminer Hitler furent issues des milieux « réactionnaires ». Mais il y a bien plus dans ces six cents pages d'Histoire qui se lisent comme un roman.


Armé de ma lanterne sourde



lllustration de Masquelier pour Les Liaisons dangereuses.

Les larmes d'Eros (Georges Bataille)


Bataille, après en être passé par là, a pourfendu la bigoterie. Il a mis en scène la dépravation, les capacités de l'être humain à déchoir. Mais il a montré par la même occasion que celui-ci pouvait s'émanciper d'une morale réductrice lui interdisant d'entrevoir ses limites. Dressé contre les dogmes judéochrétiens, Bataille débusque une activité sexuelle non utilitaire et dont l'égoïsme serait le principal moteur. Face à la mort se dresse Eros, porteur de forces vives. Mais la volupté ne donne rien, ni acquisition ni accroissement de quoi que ce soit ; elle annonce une perte – qui va exactement à l'opposé de la valeur travail. Elle est activité désordonnée qui conduit censément à la transgression de l'interdit sous le patronage de Dionysos. C'est pourquoi les « bonnes consciences » ont voulu priver l'érotisme de son caractère sacré pour lui prêter les plus mauvais desseins. Ce que Bataille déplore évidemment. Ce petit essai peut, certes, déranger. Mais il change de l'insipide soupe idéologique servie par les prêcheurs d'un siècle qui, à peine commencé, donne déjà des signes d'anémie.

vendredi 12 septembre 2014

La Vallée Village (Val d'Europe)


La société de consommation (Jean Baudrillard )



Faut-il lire ou relire cette longue réflexion sur notre société de consommation, ses mythes et ses structures ? Sans doute. Car la Révolution de l'Abondance est toujours d'actualité, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Entre l'amoncellement de signes et de messages, la succession ininterrompue des besoins et des satisfactions, la dénaturation et la falsification de l'objet et de l'événement, l'économie de marché n'a pas renoncé à déposséder l'individu de lui-même ; les médias, les pouvoirs se chargent de dire à chacun pris dans la masse ce qu'il est et ce qu'il désire. Une telle sollicitation, qu'elle s'effectue sous forme de prophylaxie morale et sociale ou de laxisme paternaliste, est essentiellement relayée par les journalistes et les publicitaires. Cette dénégation de la rareté entraîne, bien entendu, des dysfonctionnements particuliers : violence, fatigues, somatisations, indifférence politique face à un simulacre de démocratie directe (Baudrillard parle de « dérision du suffrage universel »). Le discours n'a rien de nouveau mais, depuis 1970, date de la rédaction de cet essai, le « délit d'atteinte à l'intelligence » constitue la marque principale de la modernité. Debord et le mouvement situationniste avaient déjà levé un coin de voile sur ce phénomène. Baudrillard tire le rideau et révèle l'imposture d'un système organisé autour de la passivité, de l'acceptation et de la fascination.


jeudi 11 septembre 2014

La Devinière (maison de Rabelais, à Seuilly)


Tropique du Capricorne (Henry Miller)





Je relis régulièrement les Tropiques, ainsi que les trois tomes de la Crucifixion en rose, mais c'est le Capricorne qui a marqué, selon moi, par son caractère audacieux et novateur, le paysage littéraire - et il semble que la relève ne soit toujours pas arrivée...
C'est le temps où Miller veut devenir écrivain et qu'il confie sa détermination à l'Underwood. « Je mettais mon énergie entière dans mon effort pour voir, pour ne rien perdre du drame de ce monde », écrit-il. Pour ce faire, il aborde sa « biographie » en décidant de ne pas s'embarrasser, en adoptant le style qu'il conçoit pour parler de lui; le sien. Il déroule sous les yeux du lecteur ébahi, sinon dérouté, de façon parfois torrentielle et « dadaïste », ses années de travail abrutissant, ses amis, ses maîtresses... Dans ces pages rythmée par la révolte et l'amour de la vie le plus débridé, il y a du jus, beaucoup de jus. L'écrivain a lu Rabelais, Cendrars et Céline, mais il a su forger un style personnel, aussi original que décomplexé. Parfois imité, jamais égalé. Et totalement inclassable.

Rome


mercredi 10 septembre 2014

Sylla (François Hinard)

Le personnage de Sylla est assez mal connu. Son règne marqua pourtant l'histoire de Rome de manière déterminante, puisqu'il va mettre un terme à la République et ouvrir la voie de l'Empire. Lorsque, en - 88, Sylla revêt les insignes du pouvoir, l'Urbs est pour la première fois profanée en ses murs par des troupes armées, celles de Caius Marius. C'est une année inaugurant une période de guerres civiles qui imposera à Sylla de livrer d'incessants combats sur plusieurs fronts. Sans oublier de repousser pour autant l'ennemi extérieur. Après ses victoires contre Jugurtha et Mithridate, sa popularité grandissante inquiéta la République. Ainsi, et assez paradoxalement, alors qu'il combattait pour la sécurité de Rome, celle-ci le déclarait ennemi public, faisait raser sa maison et persécutait les siens.
Sylla dépensa une grande énergie à se débarrasser des marianistes, partisans de Caius Marius. À ce titre, il a été déconsidéré par ceux qui lui ont succédé, en particulier César et Cicéron. Et son personnage a été longtemps associé dans l'histoire à l'image d'un tyran sanguinaire. En fait, il lui aura fallu sans cesse composer et naviguer dans une époque de fureur, de massacres, de proscriptions, de fratricides, de suicides et d'exécutions collectives.
Sylla excella surtout, comme le souligne François Hinard, dans l'art de la guerre et de la stratégie. Ce que ses victoires de Chéronée et d'Orchomène, où il triompha d'un ennemi en nombre très supérieur, confirmèrent de manière éclatante. Mais sa principale qualité tint dans ce qu'il sut motiver des troupes ''prolétarisées'', vidées peu à peu de tout idéal patriotique, et dont le sens du combat était réduit ou associé à l'obtention d'un butin. Il savait redresser les situations qui s'annonçaient désespérées, comme à Orchomène, en engageant personnellement le combat. Et alors que Rome avait proclamé sa déchéance, ses soldats continuèrent à le servir, même après qu'il leur eût annoncé qu'il faudrait prolonger leur campagne militaire de deux ans.


Ban des vendanges des Côtes-du-Rhône (Rocher des doms, Avignon)


Les années d'utopie (Jean-Claude Carrière)


Les Années d'utopie, ce sont les années 1968 et 1969, si bien nommées par Jean-Claude Carrière qui les a connues à New-York, Prague et Paris.
A New-York, en 1968, à l'ombre de la Beat generation, la libération sexuelle a atteint un degré dont on ne peut même pas rêver aujourd'hui. C'est aussi le temps de Taking off et de Greetings, du phénomène Beatles en plein trip hindou et du magazine Playboy. A Prague envahie par l'armée soviétique, on comprend mal (et surtout Milos Forman, ami de l'auteur) le phénomène mai 68 qui veut hisser le drapeau rouge là-bas alors qu'on veut l'abattre ici. L'auteur rappelle au passage le désastre de Yalta : « « Toute une grappe de peuples se retrouve sous le marteau-pilon du marxisme-léninisme par un trait de plume de trois vieillards. » Il remémore l'immolation de Jan Palach par laquelle celui-ci dénonçait l'utopie des utopies : la délation et le goulag. Carrière n'est pas plus tendre avec le mai 68 parisien. Il rappelle que le revirement gaulliste succéda au chaos comme un événement logique. 1969, c'est l'année des exactions de la bande à Baader et des Brigades Rouges (415 assassinats, plus de 15000 attentats !). On se projette aussi hors du monde réel en recourant aux paradis artificiels. La question essentielle devient : « What are you on ? » (Sur quoi es-tu, que prends-tu en ce moment ?) Un autre monde.
Soient deux années fertiles en rebondissements, mais surtout en errances et errements... Il y a bien d'autres révélations, remarques et rappels historiques utiles dans ce récit de souvenirs qui constitue un livre émouvant, certes drôle mais aussi lucide, puisqu'il contribue au déboulonnage de ce qui voudrait encore faire passer une névrose petite-bourgeoise pour un grand élan de générosité.


Drôme provençale


Aux ailes de la lettre (Gustave Thibon)


Il est dommage que Gustave Thibon soit si mal connu. Son côté catho royaliste a peu contribué à son succès. Ce philosophe autodidacte (donc qui n'a pas été validé par les diplômes républicains attestant qu'on sait bien réciter la leçon) a pourtant des choses à dire et sur un style aphorismique tout à fait roboratif.
Nous pourrions reprocher à Thibon son catholicisme tendance Action française, mais il faut reconnaître qu'il a su dépasser le simple cadre de sa foi pour instruire la recherche d'une vérité métaphysique et ontologique. A ce titre, il met souvent en exergue "le triste usage que l'homme fait de son intelligence et de sa liberté". Ce qui fait l'intérêt de cette épaisse publication posthume, c'est que ces textes, écrits entre 1932 et 1982, n'ont pas été retenus par Thibon pour la publication de son vivant. Peut-être par crainte de déconcerter son lectorat croyant. Quoi qu'il en soit, on est surpris de découvrir une part de doute sur l'existence de Dieu et l'efficience d'une religion, certes dénaturée mais tout de même révélée, et que tout penseur digne de ce nom hésite à faire sienne en bloc.


La Douane de mer


Les Borgia (Alexandre Dumas)






Alexandre Dumas, auteur prolifique et père du roman historique, avait commis une série relative aux crimes célèbres. Il s'intéresse ici à l'histoire des Borgia, et essentiellement aux figures du pape Alexandre VI et de son bâtard César. Il faut subir un assez long préambule, dans lequel Dumas plante le décor, avant d'entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire une succession de batailles et assassinats, où le mensonge, le reniement et la trahison mènent la danse. Une épopée sanglante dont Lucrèce est quasiment absente. Mais où la figure de son frère César, à elle seule, suffit à Dumas pour remplir son contrat : car César vérifie la sentence de Machiavel selon quoi les princes doivent « faire de l'art de la guerre leur unique étude et leur seule préoccupation ». Ce qui rejoint aussi la phrase de Caligula, rapportée par Suétone : « Peu importe qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent. »

Au mont Lozère


Présence de la nature (Marcel Conche)


Marcel Conche, fils de paysans corréziens, est professeur émérite à la Sorbonne. Il est connu pour ses écrits sur les philosophes grecs. Ses maîtres et compagnons de route se nommant Héraclite, Démocrite et Platon, il est normal qu'il ait fait appel à eux pour rédiger cet essai sur et autour de la nature. On s'aperçoit en le parcourant que le domaine est vaste, qu'il permet de disserter sur le néant, le monde, l'univers et bien d'autres aspects ou non aspects de notre environnement immédiat. C'est aussi pourquoi, outre les philosophes atomistes, Conche convoque la pensée d'Epicure, de Pascal et de Montaigne pour tenter d'appréhender la nature et en particulier à déterminer quelle est sa relation au temps. A la suite d'Heidegger, il explore les chemins de l'être et de l'étant. Tout cela nous ramène immanquablement à l'intelligence, aux sens et à cette « nuit que l'homme est à lui-même », pris entre fini et infini.

La matière de ce livre, suite de textes inédits, parus dans des revues ou prononcés lors de conférences, autorise aussi son auteur à emprunter quelques chemins de traverse. A cette pudeur qui le caractérise, il confie la difficulté de penser en s'extrayant de l'actualité, du non durable, ainsi que s'y sont astreints ses prédécesseurs grecs. Qu'est-ce qui peut garder une signification à n'importe quel stade de l'histoire humaine ? questionne-t-il. La réponse est sans détour : aller à l'essentiel, nous déposséder de l'ostentatoire, des richesses et de la notoriété ; voici au fond l'axe principal de la philosophie.Il n'est du reste nul besoin d'avoir usé les bancs de l'Université pour « gagner » en authenticité. Une forme de vie qui ne peut être conçue qu'en prêtant l'oreille à ces démons qui invitent à la désobéissance civile.
Dans la dernière partie de l'ouvrage, Conche décrypte la poésie de Rimbaud – tout comme celle contenue dans la correspondance de Rosa Luxemburg. Puisque la poésie est fondée à s'exprimer sur la Nature et ses arcanes (selon Heidegger, il n'est pas de meilleure approche du langage que cet art qui nomme le sacré).
Conche est un penseur atypique. Il l'a montré dans ses livres. Présence de la nature ne déroge pas à cette règle. Il sort du lot de la production actuelle où Onfray s'enfonce dans le verbiage, Comte-Sponville dans la vulgate et Ferry dans sa vaine (bien que courageuse) tentative passée d'appliquer quelques préceptes de la République de Platon à l'éducation de nos enfants. Une lecture parfois ardue mais d'un intérêt certain.


A Saumur


Eloge des femmes mûres (Stephen Vizinczey)


Andràs Vajda est-il un simple personnage sorti de l'imagination de Stephen Vizinczey ou son double qui serait prétexte à confier quelques souvenirs amoureux ? On penche pour la seconde solution, car il est difficile de ne pas déceler dans cet Eloge des femmes mûres un caractère autobiographique. Le narrateur y déroule comment, dès l'adolescence, lui est venu le goût pour ces créatures dont l'appétit sexuel est encore très conséquent. Elles apparaissent pudiques, réservées, jusqu'à ce qu'elles acceptent de succomber en révélant leur vraie nature – fougueuse, évidemment ! Le jeune homme goûte au fruit défendu (dont le mari n'est parfois guère éloigné) et constate que la volupté n'a pas élu domicile ailleurs. Dès lors, il ira de conquêtes en conquêtes, ne recevant de désillusions que par la fréquentation de ses plus jeunes amantes.
Ces mémoires écrits dans un style enlevé, riches d'enseignements, souvent très drôle, ne dérapent jamais dans la vulgarité. Mais il est toujours possible de lire entre les lignes... Découvert sur le tard et d'abord publié à compte d'auteur, ce vibrant plaidoyer est désormais un classique incontournable.

Nymphes et satyre (William-Adolphe Bouguereau - 1873)


Jusqu'au bout de la foi (V. S. Naipaul)



En 1979, Naipaul effectuait un voyage dans quatre pays islamiques non arabes, Indonésie, Iran, Pakistan, Malaisie. Dix-sept ans après, il y retourne et rapporte un bilan amer de la situation. Non contentes d'avoir tiré un trait sur leur identité et la richesse de leurs origines, des populations entières se sont rangées sous la bannière des prédicateurs. Autour de cette foi puisée du côté de l'Arabie et du Prophète, et qui régit désormais la vie de chaque jour, Naipaul, prix Nobel de littérature en 2001, mène l'enquête, interroge les fondamentalistes comme les gens du peuples. Sa méthode est voisine de celle de l'ethnologue : il se penche sur le passé, l'éducation de chacun, note davantage le fruit de ses visions que de ses réflexions, mais le résultat est là et souligne la puissance du mirage fondamentaliste. Un témoignage captivant qui semble confirmer que la dévitalisation des peuples par la religion est de retour. 

A Oppède-le-Vieux


Mr Ashenden agent secret (Somerset Maugham)


Maugham n'est pas qu'un prétexte à la rime dans une chanson d'Alain Souchon. Il est un de ces écrivains qui œuvra dans la première partie du siècle dernier et que l'oubli frappe injustement. Le lectorat porte ses suffrages vers des auteurs de seconde zone, insipides et inopportuns, bref : actuels. Or, que de talents, que de pépites sur lesquels le temps n'a pas de prise, et qui méritent par là d'être lus. Les nouvelles de Somerset Maugham se rangent assurément dans cette catégorie. Maugham a ouvert la voie au roman d'espionnage, même s'il ne s'est pas cantonné à ce genre. Cynique, désabusé (mais sans trop forcer la note), et ne se prenant jamais tout à fait au sérieux, l'écrivain britannique a inspiré Graham Greene, Eric Ambler et John le Carré.

Mr Ashenden est le héros des huit nouvelles de ce volume. On le suit à travers l'Europe du premier conflit mondial, jusqu'au fin fond de la Russie où se prépare la révolution bolchévique. L'auteur, lui-même un temps agent secret, connaît son affaire, même s'il déclare dans sa préface qu'il préfère prendre des libertés avec son expérience pour élaborer plus librement son récit. La recette est savoureuse, so british. Pas de coup de théâtre, pas d'analyse psychologique inutile mais avant tout une atmosphère que l'humour ne renonce pas à visiter. Tout l'art de Maugham tient dans ce qu'il a choisi de naviguer à sa guise dans ces histoires où l'intrigue est souvent secondaire. Il sait captiver le lecteur avec des personnages en proie au mensonge, à l'amertume mais qui peuvent aussi être touchés par l'amour. Au fond, représentants de nos qualités et de nos vices. Un style maîtrisé qui favorise une lecture des plus agréables.


Orion aveugle cherchant le soleil (Nicolas Poussin - 1658)


Quand un crocodile mange le soleil (Peter Godwin)


Peter Godwin, journaliste new-yorkais, est né en Rhodésie. Il a servi dans l'armée de ce pays longtemps considéré comme l'âme sœur (et naturellement damnée) du régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Depuis la guerre d'indépendance, la Rhodésie est devenue Zimbabwe. Robert Mugabe y a instauré une dictature mais qui, du fait qu'elle soit à l'initiative de Noirs guidés par de « nobles idéaux marxistes », a fait avaler des kilomètres de couleuvres aux bonnes consciences occidentales. Celles-ci ont mis beaucoup de temps avant de condamner la chasse au Blanc érigée en sport national. Car au Zimbabwe, il ne fait pas bon être Caucasien, surtout si on a construit à la sueur de son front de riches exploitations fermières.

Peter Godwin, qui retourne voir régulièrement ses parents restés là-bas, constate et note au fil des ans la déliquescence dans laquelle plonge son pays natal. Le constat est amer. Depuis 1980, l'espérance de vie a chuté de 57 à 34 ans, 35 % de la population est atteinte du sida. Le pays détient le record mondial d'inflation et un taux de chômage de 70 % (chiffres de 2008). Quant à la politique de redistribution des terres, elle relève de la même gabegie, les nouveaux propriétaires noirs se révélant incapables d'appliquer les techniques et la rigueur de leurs prédécesseurs qui en avaient fait le grenier de l'Afrique. Godwin assiste, effaré, à la confiscation des biens des fermiers blancs par ces commandos de « vétérans » avinés et camés, aux méthodes autant musclées qu'illégales.

De manière plus intimiste, il rapporte la déchéance de ses parents et les nombreuses vexations qu'ils subissent. Jadis comptant parmi les garants de la richesse du pays, ils sont devenus des parias. Un témoignage qui se lit d'une traite malgré ses quelques concessions payées au dogme du politiquement correct. Pour comprendre l'actualité et la réalité d'un racisme africain.

La répétition


Bienvenue au club (Jonathan Coe)


Cette histoire d'ados traversant l'Angleterre pré-tatchérienne dans les années 70 du côté de Birmingham rapporte avec talent la profusion et l'audace culturelle de cette époque, surtout du point de vue musical. Le titre original du livre (The Rotter's Club) est emprunté à celui de l'album le plus étonnant et le plus audacieux de cette période, dû au génie du groupe Hatfield & the North, fulgurante comète qui traversa un espace pourtant déjà très foisonnant de richesses inventives en le marquant de manière indélébile. Mais l'on trouve aussi dans ce « club des mauvais garçons » des dépucelages, des attentats terroristes, des « mouvements sociaux » (comme on dit pudiquement à la SNCF), du théâtre, un petit journal de collégiens impertinents, un Noir surnommé Banania qui parviendra à tirer son épingle du jeu... et des hectolitres de bière. Pour clore le tout, Jonathan Coe nous balance un chapitre joycien, période Ulysse, tout à fait réussi et jouissif. Pour les nostalgiques de Yes, de Genesis et d'Eric Clapton (qui osa déclarer que la Grande-Bretagne était devenue la colonie de ses colonies ! horresco referens), mais aussi pour tous les autres qui souhaiteraient y aller voir de plus près.

Cèdres


Walden (Henry D. Thoreau)


C'est un livre phare, autobiographique, qui raconte la vie du poète Thoreau dans une cabane perdue au milieu des bois deux années durant ('expérience qu'a réitéré Sylvain Tesson durant 6 mois en Sibérie). Ces phrases extraites de l'ouvrage illustrent sa démarche. « Vers la fin de mars 1845, j'empruntai une hache et m'en allai dans les bois près de l'étang de Walden, près de l'endroit où j'avais l'intention de bâtir ma maison (…). Je m'en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu'elle avait à m'enseigner, afin de ne pas m'apercevoir, à l'heure de ma mort, que je n'avais pas vécu. » Thoreau se raconte, fait partager ses réflexions sans véritable projet ou plan. Il erre au gré de sa fantaisie et sous la prose se révèle sa poésie. L'auteur de Désobéissance civile, qui fut incarcéré pour avoir refusé de payer l'impôt, semble avoir trouvé dans la forêt une sérénité, celle inspirée par une vie simple et rude mais où la méditation garde sa place. Thoreau : un maître zen d'Occident !

mardi 9 septembre 2014

Cabane dans le ciel


Rêveurs (Knut Hamsun)









Il ne faut pas renoncer à s'abreuver à la source pure que constituent les romans de Knut Hamsun, prix Nobel de littérature 1920. Rêveurs rapporte les péripéties d'une bourgade norvégienne habitée par la figure originale de Rolandsen, jeune homme cherchant sa place dans une société où le progrès pointe son nez. Pour se consoler, il n'a que ses rêves : monter une petite entreprise de colle à base de résidus de poisson et conquérir toutes les jolies créatures du voisinage, de la fille du riche marchand à l'épouse du pauvre pasteur... C'est magnifiquement écrit (et traduit), avec la force de la simplicité mais aussi un inimitable talent.


Tour César (Provins)


Eloge de l'élitisme (Claude Javeau)


L’élitisme ! quel terme odieux pour notre société civilisée. C’est pourquoi qui prétendrait en faire l’éloge devra prendre quelques précautions. A cet effet, Claude Javeau a veillé à donner à son pamphlet un tour acceptable, car la vindicte médiatique est toujours prompte à désigner les éléments déviants.

Que dit Javeau dans ces quelques pages au style élégant et à la lecture agréable ? Qu’il faut une réforme de l’éducation, bien entendu. Du fait que la télévision a fortement contribué à asservir les masses (par l’interposition des univers régis par MM. Bouygues et Berlusconi).
Mais s’il ne s’agissait que de cela. Aux effets nocifs du petit écran désormais promu à la place d’honneur dans les foyers (médias devenus orfèvres dans l’art de transmuter l’information en production d’émotions, événements sportifs, funérailles de têtes couronnées), il convient d’ajouter Eurodisney, la légion d’honneur à Johnny, le prétendu génie attribué au moindre joueur de djembé, la ringardisation systématique du passé, les rentes de situation des fonctionnaires, le jeunisme sur le mode « les jeunes ont nécessairement quelque chose à dire », « les apologistes de la société de consolation » (Comte-Sponville, Jacques Salomé) et de la repentance, le fascisme devenu l’insulte passe-partout (surtout pour les demi-solde et les ayatollahs de la pensée façon BHL), la dictature des associations (via les « forums sociaux ») et des minorités (musulmans, taggeurs…).
Justement, les minorités. Il y a les mauvaises et les bonnes. Celle constitué par les élitistes est à classer dans la seconde catégorie. Ceux-ci n’en sont pas moins à classer parmi les espèces en voie de disparition, menacées d’être anéanties par ce brouet dont, en particulier, la gauche communautarisme « prétend imposer la recette à tout le monde ».

Bien entendu, on goûte peu ceux qui viennent gâcher la fête en arrachant les lampions. « Si le roi est tout nu, écrit Javeau, il ne faut point se contenter de dire qu’il se pourrait qu’il fût un peu débraillé. » On le voit, non content d’écrire à la plume et de s’en vanter, l’auteur emploie l’imparfait du subjonctif pour dénoncer les abus de l’intolérance portant atteinte à la liberté et à l’intégrité de la pensée. Deux facettes qui contribuent aussi à nous rendre ce monsieur plutôt sympathique.

Mangrove (Guyane)


Oro (Cizia Zykë)



  Entreprendre la lecture d'Oro demande de se délester d'un certain nombre de préjugés. Car Cizia Zykë montre une considération très limitée pour l'idéologie des droits de l'homme. Il raconte son expérience de chercheur d'or au Costa Rica où il évolue (avec détermination et efficacité) au milieu des requins, des serpents, des larves et des scorpions – tous plus humains qu'animaux ou insectes... Pour mener à bien sa petite entreprise, qui ne connaîtra pas la crise, notre héros va devoir faire taire ses scrupules, ce à quoi sa vie aventureuse l'a heureusement habitué. Don Juan Carlos, ainsi qu'il se fait appeler, dresse les hommes à plier et à lui obéir, mais il éprouve aussi une certaine tendresse pour ceux qui accepteront de le suivre au fond d'une jungle inhospitalière pour travailler dur à l'extraction du métal précieux. Ce sont essentiellement des rebuts de la société et des repris de justice mais que cette équipée vont transformer. Quant aux plus chétifs, le passage par la Quebrada des Francès, va développer leur caractère et leur cage thoracique. Tous finiront le crâne rasé, manière de marquer leur appartenance à une société virile sur laquelle les lois et la comptabilité ne trouvent aucune prise.
Il y a dans Oro tous les ingrédients pour faire un bon roman d'aventure : des flics et des politiciens véreux, de la bagarre, de la coke, de l'alcool, des jeux de hasard, des magnums (champagne et armes à feu), des fêtes et des nymphettes. Seulement ici, on est dans la réalité.
La philosophie de ce livre est brute et sans appel. A un monde façonné pour les faibles, l'ancien légionnaire Zykë impose le sien et son refus de se soumettre. Face à l'hypocrisie, aux mensonges et aux jérémiades, il proclame la légitimité de la loi du plus fort. Un récit remarquable et rare par les temps d'émasculation qui courent.



Au 25, quai Voltaire


Les Olympiques (Henry de Montherlant)


Voici un livre évoluant entre le récit, la nouvelle, l’essai et la poésie. Il va bien au-delà de la seule idée du sport et de la compétition puisqu’il décrit des personnages cherchant à échapper à leur condition d’êtres promis à la déchéance, exhortant à un nécessaire dépassement. On y trouve évoqué tant l’aspect aristocratique que démocratique de toute activité physique où la force puise dans l’esthétique et l’ordre… Vertus qui se retrouvent dans un monde païen jadis habitué à triompher et à se surpasser. Montherlant jubile en associant le sport au jeu et à une certaine idée d’accomplissement individuel. « On redonne vie au vieux principe qui gouverne le monde antique. » De Coubertin n’en est pas le seul artisan. Il a seulement témoigné de ce désir de retrouver une grandeur passée.
Tandis que Montherlant, s’avoue incapable « d’aimer dans la faiblesse » – et comment le pourrait-il lorsqu’on a parcouru son œuvre ? –, il compose Les Olympiques, avec le souvenir d’avoir arpenté la cendrée des stades, tapé dans le ballon, toréé, guerroyé. Il est homme qui conjugue la littérature et l’action, pour qui le sport est une déclaration de guerre à soi-même. A 45 ans, il a composé ces pages avec toute la lucidité de celui qui entre dans son acmé : « Il n’est aucune sorte de jeunesse vers laquelle un homme mûr, ou sur son déclin, puisse se retourner avec autant d’approbation heureuse, que celle qu’il passa dans les stades, sous le sourire de ces trois divinités : celle de la « gymnastique », celle de la poésie, et celle de l’amitié. (…) Une jeunesse athlétique contient assez de richesse, et de richesse diverse, pour nourrir en quelque chose chaque moment de notre développement intérieur et chaque étape de notre destinée. »
La boxe, le football, la course à pieds, ne constituent que des supports à son discours. Ces Olympiques sont traversées par la statuaire athlétique grecque, des visions de jeunes filles à l’entraînement subjuguées par l’effort et la volonté de vaincre en pleine lumière, lorsqu’il n’est plus possible de « raconter d’histoires ». Le corps se dévoile dans un stade devenu terrain de vérité, dans un monde d’où l’apparence est évacuée, hors la profusion des discours, la manipulation et la tromperie. « De même que nous modelons notre corps par des exercices appropriés, des massages appropriés, voire un régime approprié, nous devons sans cesse modeler notre être jusqu’à ce qu’il remplisse tout l’espace délimité par nos possibles, jusqu’à ce que nous soyons exactement et parfaitement ce que nous sommes. »
Un chapitre comme Le trouble dans le stade, dont est tiré cet extrait, constitue à lui seul un traité d’éveil à la vie et à la victoire, à cette victoire qui, si elle est petite, n’a que le goût de la défaite.
Comment se procurer ce livre ? Le fait qu’il ne soit plus réédité, sinon dans un volume de la Pléiade, donc à un prix peu accessible, nous édifie assurément sur la puissance dangereuse de son contenu. Il faudra donc arpenter les bouquinistes pour dénicher ce bréviaire de grande santé qui vient compléter les thèmes (la guerre du Songe et la tauromachie des Bestiaires) chers à l’un des écrivains les plus roboratifs de notre littérature.

Lac de Sils (un 31 décembre)


Première considération inactuelle (Frédéric Nietzsche)


Cette première considération n'est pas la plus connue. Elle a permis à David Strauss, bien malgré lui, de passer à la postérité par l'éreintement que lui fait subir le philosophe au marteau. En se dressant contre une oeuvre convenue, Nietzsche pourfend la faiblesse, l'assèchement, l'aridité, la confusion et la préoccupation pour le commerce. Il invoque la force et la fécondité qui doivent seules alimenter toute entreprise culturelle, et remet par là les pendules à l'heure au sein d'une société allemande déjà déliquescente. Ce qu'il déplore est aussi et toujours ce que nous déplorons : « Il y eut un temps, éloigné il est vrai, où le philistin était toléré tant bien que mal comme quelque chose qui ne parlait pas, et de qui l'on ne parlait pas : puis il y eut un temps nouveau où l'on caressait ses rides, où on le trouvait drôle et où l'on parlait de lui. »

Quant à ce goût pour la nouveauté et l'originalité telles qu'elles monopolisent désormais les esprits (et aujourd'hui bien plus qu'hier), Nietzsche est catégorique : « Il est indifférent que cette croyance soit nouvelle ou ancienne, originale ou imitée, alors qu'il importerait qu'elle soit seulement vigoureuse, saine et naturelle. »

Plaine de la Queyrie


Antartida (Francisco Coloane)





Les romans de Francisco Coloane sont courts, guère plus longs que les nouvelles qui ont fait son succès (Cap Horn, Tierra del Fuego). L'écrivain chilien va à l'essentiel, économisant au lecteur de longues scènes descriptives ou d'interminables études psychologiques. Il brosse néanmoins avec un talent sûr le tableau de paysages et d'atmosphères propres à la Patagonie qu'il connaît bien pour y avoir exercé divers métiers. C'est aussi sans doute pourquoi l'âpre caractère de ses personnages, marins ou paysans, y est d'une grande justesse. Dans Antartida, on retrouve Alejandro, héros du dernier mousse (roman paru dans la même collection). Mais aussi le vent, les grands espaces, l'entêtante proximité du Cap Horn et le goût du défi.

Chez Coloane, l'aventure, même si elle n'est pas spectaculaire, est toujours au rendez-vous. Et c'est un vrai bonheur que d'embarquer avec lui.

Madonne à l'oriflamme (Nicholas Roerich)


Le voile d'Isis (Pierre Hadot)










Loin des ors et des chapelles, Hadot construit une œuvre exigeante et solaire. Branché directement sur la pensée antique (Plotin, Epictète, Socrate, Marc Aurèle), il n’est pas étonnant que son Voile d’Isis emprunte de nombreuses références aux Anciens pour notre plus grand bonheur… et notre édification. Mais l’époque contemporaine n’en est pas moins sollicitée. Le lecteur sera donc transporté d’Héraclite à Heidegger, se reposera dans les temples des dieux païens et se nourrira du nectar de la philosophie occidentale. Un sacré voyage.

Midi


Court Serpent (Bernard de Boucheron)






Court Serpent est le nom d'une embarcation affrétée par l'Église afin d'aller secourir une lointaine communauté de Nouvelle Thulé en danger, faute d'évêque, de retourner à l'infidélité. À son bord, l'abbé Montanus (sic !) et quelques hommes de nage déterminés. Le récit s'appuie principalement sur le rapport de cet ''inquisiteur ordinaire et extraordinaire'' qui expose la façon dont lui-même et ses acolytes tenteront de remettre le diocèse de Gardar sur la voie conforme à l'enseignement christique. On frémit à la lecture de ce condensé des méthodes employées par la chrétienté féodale, missionnaire et inquisitoriale, pour porter la bonne parole à ces peuples à l'âme païenne et hyperboréenne qui tentent de survivre à une époque trouble dans les lieux les plus isolés – en l'occurrence sur la côte ouest de l'actuel Groënland. Ils ont préféré l'hostilité de la nature à la folie des hommes. Mais celle-ci les a rattrapés au nom de Dieu. C'est violent, chargé de désespoir, de maladies, de viols, de famine, de pendaisons. C'est le portrait d'une époque sombre qu'un monothéisme fiévreux s'acharna à soumettre.
Après une carrière passée à décider et gérer les affaires du grand capital, Bernard de Boucheron a résolu de se consacrer à l'écriture. Le capital a peut-être perdu un capitaine, mais la littérature a gagné un auteur talentueux et plutôt fréquentable.