En apparence,
Clément Rosset ne dérange pas le consensus, comme s'y essayent
parfois, si l'on s'en tient au domaine de la philosophie, un Alain
Filkienkraut ou un Michel Onfray. Mais Rosset creuse en profondeur,
pour ainsi dire sous les fondations. Il nous avait donné La Force
majeure, des notes sur
Nietzsche, sur Cioran et surtout sur la joie ; c'était faire le
grand écart entre un concept qui n'est nietzschéen que dans
l'acquiescement à la vie, et plutôt étranger à Cioran. C'est que
notre homme aime les défis. Faits divers,
recueil d'entretiens et de textes, pourrait faire penser à un
fourre-tout puisqu'il y est question, outre de ses maîtres Nietzsche
et Cioran, de Freud, de Georges Bataille, d'Astérix, de Casanova,
des dandys ou du baiser... C'est plutôt, comme l'annonce l'éditeur,
des miscellanées où l'auteur a jeté toute la richesse et la
diversité de sa pensée.
On
ne cherchera pas dans ce livre, tout comme dans les précédents, des
remèdes, des solutions, des jugements.
Ni utopiste ni moraliste, Rosset énonce que si le
grand dessein de la philosophie a pu être de rendre l'homme
meilleur, la structure des sociétés n'en a pas été bouleversée
pour autant. Le philosophe peut être méchant mais en aucun cas
dangereux. C'est par ce genre d'analyse
que Rosset fait preuve d'humilité – d'une lucide humilité
– mais ébranle surtout le statut du « philosophe engagé »
qui est pour lui un imposteur. Il est facile et plutôt convenable de
passer l'actualité au prisme de l'idéologie (quitte à déformer
les faits) comme l'ont fait Sartre en son temps, et BHL ou Badiou
aujourd'hui. Ce n'est pas la voie dans laquelle Rosset a engagé sa
réflexion. Il
l'énonce du reste clairement : « Il n'y a rien de
plus irréel que ce qu'on appelle l'actualité », précisant
que
s'extraire
des contingences du moment serait le plus sûr moyen de voir la
philosophie suivie d'effets. Et de citer Schopenhauer (à
propos duquel
on lira ici quatre textes d'un grand intérêt) pour
qui l'histoire a pour principale fonction de dissimuler le caractère
répétitif du monde.
Bien entendu, on
ne fera pas la révolution un livre de Rosset à
la main, mais sa lecture est toujours vivifiante, à cent coudées
au-dessus de la vulgarité de l'idéologie universaliste et
égalitariste qui ne semble plus travailler qu'à éradiquer la
mémoire ; mémoire dont la réalité se tient précisément à
l'opposé d'une actualité éphémère
et pleine d'incohérences.
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