lundi 18 janvier 2016

Faits divers (Clément Rosset)

En apparence, Clément Rosset ne dérange pas le consensus, comme s'y essayent parfois, si l'on s'en tient au domaine de la philosophie, un Alain Filkienkraut ou un Michel Onfray. Mais Rosset creuse en profondeur, pour ainsi dire sous les fondations. Il nous avait donné La Force majeure, des notes sur Nietzsche, sur Cioran et surtout sur la joie ; c'était faire le grand écart entre un concept qui n'est nietzschéen que dans l'acquiescement à la vie, et plutôt étranger à Cioran. C'est que notre homme aime les défis. Faits divers, recueil d'entretiens et de textes, pourrait faire penser à un fourre-tout puisqu'il y est question, outre de ses maîtres Nietzsche et Cioran, de Freud, de Georges Bataille, d'Astérix, de Casanova, des dandys ou du baiser... C'est plutôt, comme l'annonce l'éditeur, des miscellanées où l'auteur a jeté toute la richesse et la diversité de sa pensée.
On ne cherchera pas dans ce livre, tout comme dans les précédents, des remèdes, des solutions, des jugements. Ni utopiste ni moraliste, Rosset énonce que si le grand dessein de la philosophie a pu être de rendre l'homme meilleur, la structure des sociétés n'en a pas été bouleversée pour autant. Le philosophe peut être méchant mais en aucun cas dangereux. C'est par ce genre d'analyse que Rosset fait preuve d'humilité – d'une lucide humilité – mais ébranle surtout le statut du « philosophe engagé » qui est pour lui un imposteur. Il est facile et plutôt convenable de passer l'actualité au prisme de l'idéologie (quitte à déformer les faits) comme l'ont fait Sartre en son temps, et BHL ou Badiou aujourd'hui. Ce n'est pas la voie dans laquelle Rosset a engagé sa réflexion. Il l'énonce du reste clairement : « Il n'y a rien de plus irréel que ce qu'on appelle l'actualité », précisant que s'extraire des contingences du moment serait le plus sûr moyen de voir la philosophie suivie d'effets. Et de citer Schopenhauer (à propos duquel on lira ici quatre textes d'un grand intérêt) pour qui l'histoire a pour principale fonction de dissimuler le caractère répétitif du monde.

Bien entendu, on ne fera pas la révolution un livre de Rosset à la main, mais sa lecture est toujours vivifiante, à cent coudées au-dessus de la vulgarité de l'idéologie universaliste et égalitariste qui ne semble plus travailler qu'à éradiquer la mémoire ; mémoire dont la réalité se tient précisément à l'opposé d'une actualité éphémère et pleine d'incohérences.

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