Un
recueil de textes, certes, mais peut-être à ce jour qui
constitue le livre le plus riche
de Tesson – à l'instar du Qu'est-ce que je fais là ?, de Bruce Chatwin. Dans cette Géographie de l'instant,
l'auteur enseigne en
effet une doctrine de vie et fait part des observations sur le monde
d'un « marcheur converti à l'ascétisme de la piste »,
lui-même en l'occurrence. Et s'il s'interroge sur l'impératif de
partir, de voyager, sa réponse est qu'il n'a trouvé aucun motif de
ne pas le faire. Il ressent
intensément ce besoin et il le fait savoir. Dans le même temps, il
ne raconte pas d'histoires et sait aller à l'essentiel. En
particulier
quand il évoque la
Russie, un territoire où tout semble encore possible. Le texte
« Vivre, boire et se pardonner » est chargé de
significations et témoigne du don d'observation de l'auteur. Ainsi :
« Les Russes possèdent le don de jeter toutes leurs forces
dans la bataille de l'instant », et encore : « Moi,
quand j'arrive en Russie, je respire. Comme si on avait ouvert la
fenêtre. » Cette culture s'accorde sans doute avec les
principes d'ascétisme que Tesson s'est donnés, un peu aménagés
tout de même puisque l'alcool n'en est pas absent. (Ce qu'il a payé
cher lors de l'escalade du chalet de Jean-Christophe Ruffin...)
Mais, sous bien d'autres horizons, il
trouve matière à exprimer
sa différence, et l'abîme qui le sépare parfois de la condition de
ses semblables (même s'il lui faut parfois savoir sacrifier aux
obligations et impératifs germanopratins). Et quand il manifeste sa
réprobation, il ne va pas toujours dans le sens du politiquement
correct. Nous n'en sommes pas dupes, le statut d'écrivain-voyageur
implique le plus souvent un attachement modéré à un système qui
déploie essentiellement ses tentacules au sein des métropoles et
que sous-tend un relativisme utopique, relativisme en fait tout
« relatif » propre aux sociétés occidentales. Par
exemple, dans le Paris socialiste, on ne fête pas le carnaval ou la
fin du carême mais le nouvel an chinois ou la fin du ramadan.
Comment aimer le Paris socialiste, et le Paris tout court, cette
figure moderne de l'Urbs ? Là est toute la question quand les
vastitudes vous appellent...
Quant aux livres qui l'ont accompagnés,
peut-on dire qu'ils ont contribué à faire de Tesson un homme
complet, homme d'action autant que de pensée ? Sans doute du
fait que ses lectures ne sont pas anodines. Qu'on en juge :
Hamsun, Matzneff, Cioran, Nietzsche, Schopenhauer, Jünger, Mishima,
Morand ou Keyserling. Nous
avions eu un aperçu de ces viatiques lors de la lecture de Dans
les forêts de Sibérie,
déjà chroniquée dans ce blogue. Du reste, cette Géographie
se termine sur un magistral éloge de la lecture. (« Le livre
sacre le lieu où il est lu. ») Et la boucle est bouclée.
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