dimanche 31 janvier 2021

La religion dans la démocratie (Marcel Gauchet )

 

Quelques auteurs contemporains se sont penchés sur les problèmes générés par l'influence du monothéisme au sein de la cité. Michel Onfray et Jean Soler, en particulier. Aujourd'hui, pour prétendre en réduire les effets on convoque le mot « laïcité »... vocable qui relève cependant de la terminologie du monothéisme. Marcel Gauchet, en 1998, date à laquelle est paru cet essai, préfère parler de « sortie de la religion ». Ce moment arrive quand l'homme se donne sa propre loi face à la religion qui cesse alors d'être déterminante. Mais qu'implique cette sortie ? Et, dans ce cas, que substituer à la religion ? La réalité des « appartenances sensibles » aux assises théoriquement les plus solides, autrement dit l'identité, seule garante possible de l'homogénéité d'une nation ? Ou bien le marché, l'ultralibéralisme, la société ouverte et le règne du même ? Paradoxalement, constate Gauchet « ce sont les minorités qui ont tendance à être favorisées par rapport aux majorités [puisque] la considération des composantes tend à prévaloir aux dépens de l'unité collective ». Et c'est là tout le problème si l'on ne veut pas voir se détériorer le lien social. Car ces procédés favorisant les particularismes ont, de fait, engendré un retour du religieux, l'islam en l'occurrence, que Gauchet pressent en même temps qu'il ne le nomme pas. En 1998, ce monothéisme-là n'avait pas alors atteint, il est vrai, la capacité de nuisance à laquelle sont aujourd'hui confrontées la plupart des nations de notre continent.

Jacquerie...

 


Les avalanches de Sils-Maria (Michel Onfray)

 

Michel Onfray publie beaucoup. On pourrait l'imaginer le cul vissé à la chaise de bureau. Il lui arrive pourtant de voyager. Grand Nord, Inde, Guyane, Polynésie... Dernièrement, il s'est transporté à Sils-Maria, lieu mythique ou Nietzsche séjourna quasiment chaque été, entre 1881 et 1888, au cœur de l'Alpe et des lacs d'altitude. Car Onfray déplore que tant de ses semblables (Foucault, Deleuze, Derrida, Bataille) aient travaillé sur la pensée de Nietzsche en dissociant celle-ci de sa vie. Sils-Maria a été le principal laboratoire de l'écriture d'Ainsi parlait Zarathoustra, ce cinquième évangile s'adressant aux Hyperboréens, dans lequel le surhomme s'inscrit plus qu'en filigrane, tournant délibérément le dos au virus judéo-chrétien. C'est aussi dans cette Engadine dotée d'un air si pur que Nietzsche fut frappée par la vision de l'éternel retour. Après avoir planté le décor et ce qu'il aura inspiré à Nietzsche, Onfray dévie ensuite sur l’œuvre en général, sur la morale nietzschéenne, comme invite à « parvenir à la joie païenne d'être au monde ». Il remet quelques pendules à l'heure à propos des écrits posthumes trafiqués par sa sœur (qui tourne un peu à l'obsession), et sur les fausses mais tenaces rumeurs habituelles (les soldats allemands munis d'Ainsi parlait Zarathoustra dans leur besace, et Hitler grand lecteur de Nietzsche – il lui préférait Schopenhauer).
Depuis quelques années, il semble que Michel Onfray soit passé d'athée à panthéiste. Mais il continue à ne pas aimer les religions du Livre. Et, sur ce point, à qui d'autre qu'à l'ermite de Sils-Maria pouvait-il mieux rendre hommage ?


Artémis

 


L'homme qui arrêta d'écrire (Marc-Édouard Nabe)

 

Non disponible en librairie, pas de code barre, pas de prix, pas de texte sur la tranche et pas de nom d'éditeur pour cet épais livre noir de près de 700 pages que son auteur, d'ailleurs, ne dédicacera pas puisqu'il a « arrêté d'écrire ». Bon, c'est ce qu'il prétend car l'écrivain ne se tait pas : il publiera par la suite, le délectable L'Enculé, récit directement inspiré de l'affaire DSK. Il s'est simplement soustrait définitivement au monopole détenu par les éditeurs du système (pour lesquels il n'était pas assez « banquable »). Il ne veut plus rien leur devoir. Ainsi retrouve-t-il au passage une pleine liberté d'écrire et le résultat est plutôt jubilatoire. Sept jours d'errance (en fait, essentiellement de nuits) dans les rues de Paris, à se rendre dans les salons et cocktails littéraires, les boîtes branchées, les défilés de mode, les musées d'art contemporain et même une boîte échangiste. On trouve relatées dans ces pages les rencontres avec des personnages essentiellement issus du gotha, dont les noms sont à peine cryptés, mais aussi des réflexions de l'auteur-narrateur sur la littérature et ses médiocres tâcherons. Un livre qui avait été inscrit dans la sélection du prix Renaudot. Prix qu'il n'aurait pu bien entendu obtenir, puisque se situant résolument hors système.


Tours

 


La force de l'imaginaire + Ecosophie (Michel Maffesoli )

 

Cet essai de Michel Maffesoli ne délaisse pas le domaine de la postmodernité, dont le sociologue s'est fait un des théoriciens reconnus. Mais il s'attaque plus précisément ici à une pensée alourdie par les préjugés et les scléroses. Pas de révélations de ce côté, cette bien-pensance qui ne pense pas est toujours constituée des mêmes : journalistes, universitaires (les inénarrables « enseignants-chercheurs ») et toute une frange d'« eunuques de la pensée » plus aptes à moraliser la vie publique qu'à tenter de la comprendre. Déconnectés du réel, ces esprits sans esprit, arrogants et assurés de l'infaillibilité de leurs jugements, continuent à raisonner dans l'entre-soi. Supplétifs d'une bureaucratisation qui a déconnecté les élites du peuple, ils contribuent à cautionner un système fondé sur le mensonge et le simulacre. D'où la perte de leur crédibilité médiatiquement parlant (et qu'ils trouvent, évidemment, injuste). On assiste dès lors à une compétition sous-jacente entre ordre rationnel et ordre émotionnel. À cet égard, Maffesoli pointe cette « raison sensible » (oxymore pleinement assumé par l'auteur) surgie face aux rigidités du rationalisme moderne venu saturer l'idéal démocratique. Il annonce un retour du lien social conditionné par l'imaginaire et l'immatériel (coutumes, traditions, sagesse populaire, mythes). Bref, un vivre ensemble qui n'a rien de fabriqué ou d'artificiel, mais revêt une réelle signification.

L'imagination au pouvoir, criait-on en Mai 68. Maffesoli répond en écho : force de l'imaginaire. Pour transcender la pensée calculante et redonner sa légitimité au « pays réel » face au « pays légal ».




Michel Maffesoli propose dans ce nouvel essai une plongée dans le naturalisme. Il est lucide sur la façon avec laquelle la modernité considère la nature, comme une chose inerte, sans âme, sans immanence dont on ne pourrait retirer un quelconque enseignement par la seule expérience. Il perçoit aussi cette dichotomie entre les puissants, installés dans leurs privilèges et préjugés, et le peuple, doté d'une « connaissance ordinaire » pleine de bon sens, qui n'a pas renoncé à s'enraciner. Si Maffesoli se fait parfois un peu trop optimiste, en particulier sur les facultés de jugement des nouvelles générations pour lesquelles le « retour aux racines » reviendrait à l'ordre du jour (c'est à voir), son essai n'en est pas moins instructif et édifiant. Notamment à l'heure où l'écologie voudrait s'accorder avec le rationalisme mondialiste et indifférentialiste. Face aux adeptes de Faust et de Prométhée, l'auteur encourage à penser autrement, non comme ces armées de bien-pensants qui disent savoir et qui ne savent pas. Nous ne sommes pas loin de penser comme lui.



Causse Méjean (Lozère)

 


Vermilion Sands (J.G. Ballard)

 

Vermilion Sands, agglomération perdue dans les sables et les lacs asséchés, au milieu de nulle part, constitue le cadre des nouvelles de ce livre. Elle est peuplée, mais aussi hantée, d'êtres évanescents, de belles femmes neurasthéniques, de poètes, de peintres, de cinéastes désœuvrés, de bâtiments désaffectés survolés par des raies géantes où se déroulent des réunions nocturnes. On y trouve aussi des objets animés, appartements et vêtements, des insectes couronnés de pierres précieuses et des nuages que des avions sculptent avec leurs ailes. Autour de ces thèmes futuristes, Ballard réussit à installer une atmosphère envoûtante, à la fois lourde et légère, où les personnages perdent pied. Un classique de la science-fiction.


Phallus impudicus

 




Le Manufacturier (Mattias Köping)

 



Le conflit entre Serbes et Croates a laissé des traces dont les stigmates sont encore présents. Jusque en terre normande. Tandis que La Haye continue de traquer les criminels de guerre, un capitaine de police pas vraiment d’aplomb se débat avec les trafiquants de tous bords et un tueur en série particulièrement odieux. Les méchants sont légion et s’affrontent entre Belgrade, Le Havre et un coin paumé de Lozère... Autant d’ingrédients qui constituent la trame de cette intrigue originale, entraînant le lecteur aux confins du crime et de la folie. Âmes sensibles, s’abstenir.