dimanche 5 octobre 2014
Le sexe et l'effroi (Pascal Quignard)
Pascal Quignard est un connaisseur et un adepte du monde romain, mais pas n'importe lequel. Avec Albucius, il nous avait proposé une petite anthologie de textes licencieux. Avec Le sexe et l'effroi, (on se demande bien d'ailleurs vraiment où est l'effroi), il s'intéresse à un e Rome adepte de Bacchus et de Vénus. Il revisite le mythe et l'Histoire avec talent, nous rappelle que la vertu romaine est avant tout virilité, que Romus et Rémulus sont nés du viol de Rea Silvia par Mars, que les foyers étaient décorés de nombreuses statuettes obscènes, que chaque rapport amoureux était régi par la nécessité de préserver la caste, et que tant que l'esclave ne pédiquait pas son maître la morale était sauve. La sève virile, l'ébullition de Vénus contre l'ordre de la cité : tel fut le combat des Latins. Ovide, Messaline, Apulée et Horace en firent leur miel ; Juvénal la matière de ses « Satires ». L'on apprendra aussi que, bien avant l'arrivée des chrétiens, Rome se moralisa, s'auto-réprima pour tomber toute cuite dans les griffes de Paul de Tarse, de Grégoire et d'Athanase. Finies les baignades des jeunes vierges nues dans les flots marins et la dégustation du con des patriciennes qui se prostituaient pour honorer les dieux. O tempora ! O mores !
Les récits de la demi-brigade (Jean Giono)
Ecrites
entre 1955 et 1965, les quatre nouvelles qui composent ce recueil
nous entraîne des Alpes de Provence aux Cévennes pendant la
Restauration. Le narrateur, Martial Langlois, ancien soldat des
armées impériales devenu capitaine de gendarmerie, y croise des
bandits de grands chemins, des comploteurs légitimistes, des préfets
carriéristes. Ayant fait la loi, sabre au clair, aux côtés de
Soult, il en est réduit dès lors à l'appliquer. Serviteur du
régime, il fait son métier avec une certaine désinvolture et du
détachement, mais risquant sa vie et tuant au besoin, avec ce qu'il
faut de recul pour ne pas être dupe. Lucide, il se définit lui-même
ainsi : « Ce n'est pas que je sois un héros. Je ne les
aime guère et je m'arrange fort bien de la vie ordinaire. Mais le
travail bien fait est encore ce que j'ai de mieux pour me
distraire. » On sent dans ces récits, débarrassés du lyrisme
de ses premiers romans, la nostalgie de Giono pour une terre encore
frustre et mystérieuse, peuplée d'être de chair et surtout de
sang, qui n'hésitent pas à quitter leur labeur pour pratiquer le
brigandage.
La chute de Berlin (Antony Beevor)
Après
Stalingrad, l'historien britannique Antony Beevor procède à la
restitution de la chute de la capitale du Reich. Plus qu'un livre
d'histoire, c'est aussi une étude sur la nature humaine, ses
caractères, ses forces et ses faiblesses. Y sont aussi pointées les
lourdeurs de la bureaucratie nazie, les désillusions de ses généraux
(Paulus) et le jusqu'au boutisme (le suicide programmé des six
enfants de Goebbels). Mais ce qui frappe plus encore dans ce livre
c'est l'évocation des souffrances et des sacrifices du peuple
allemand, un peuple, propagande aidant, qui n'était pas préparé à
la défaite. Au plus fort de la débâcle, le général Strecker ne
pourra s'empêcher de formuler : « Qu'a donc fait
l'Allemagne à Dieu pour qu'il nous ait envoyé Hitler ? »
Rien ne va plus et notamment avec l'arrivée du rouleau compresseur
bolchévique qui, pour entrer dans Berlin avant les Alliés, se
montre prêt à envisager les pertes humaines les plus lourdes dans
ses rangs mêmes. Sur l'avancée soviétique, Breevor fait remarquer
qu'elle aurait été grandement retardée sans le concours des
nombreux camions prêtés par les Etats-Unis. Cette marche contre le
fascisme provoquera des dégâts considérables : en sus des
morts, deux millions de femmes violées. Le torpillage par les Russes
du navire-hôpital Goya témoigne entre autres de leur farouche
volonté de destruction. Il est étonnant de voie ensuite la
connivence s'installer entre Berlinois et occupants soviétiques.
Etonnant également de voir de quelle manière seront traités les
communistes allemands par leurs supposés libérateurs : ceux-ci
ne pouvant admettre en effet que les ouvriers n'aient montré aucune
opposition à l'invasion de l'URSS et que les seules tentatives
d'éliminer Hitler furent issues des milieux « réactionnaires ».
Mais il y a bien plus dans ces six cents pages d'Histoire qui se
lisent comme un roman.
Les larmes d'Eros (Georges Bataille)
Bataille,
après en être passé par là, a pourfendu la bigoterie. Il a mis en
scène la dépravation, les capacités de l'être humain à
déchoir. Mais il a montré par la même occasion que celui-ci
pouvait s'émanciper d'une morale réductrice lui interdisant
d'entrevoir ses limites. Dressé contre les dogmes judéochrétiens,
Bataille débusque une activité sexuelle non utilitaire et dont
l'égoïsme serait le principal moteur. Face à la mort se dresse
Eros, porteur de forces vives. Mais la volupté ne donne rien, ni
acquisition ni accroissement de quoi que ce soit ; elle annonce
une perte – qui va exactement à l'opposé de la valeur travail.
Elle est activité désordonnée qui conduit censément à la
transgression de l'interdit sous le patronage de Dionysos. C'est
pourquoi les « bonnes consciences » ont voulu priver
l'érotisme de son caractère sacré pour lui prêter les plus
mauvais desseins. Ce que Bataille déplore évidemment. Ce petit
essai peut, certes, déranger. Mais il change de l'insipide soupe
idéologique servie par les prêcheurs d'un siècle qui, à peine
commencé, donne déjà des signes d'anémie.
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