Un belle initiative que cette compilation de textes en forme de viatique contre la médiocrité. Où Nietzsche ne se montre pas avare de bons conseils. L’ami, c’est évidemment le lecteur. À celui-ci, Nietzsche demande principalement de garder intacte sa volonté et son instinct, que face à la morale chrétienne soit adoptée une morale aristocratique. Autant de principes qui aideront les esprits et les corps à surmonter ce qui empoisonne un monde où contrition rime bien trop souvent avec prosternation, geignements avec agenouillements - le phénomène n’est pas nouveau, il date même de l’avènement du christianisme. Il est aussi question d’ennemis dans ces pages. Si l’on peut s’honorer d’avoir des amis, avoir des ennemis est l’assurance de ne pas se relâcher, de ne pas faiblir, de ne pas sombrer dans l’humanisme béat et la compassion, d’ainsi évoluer par-delà les injonctions égalitaristes et relativistes. Ce petit livre est un bon moyen d’entrer dans l’œuvre du philosophe au marteau ou de s’y replonger. Il est agrémenté d’une préface de Guillaume Métayer, auteur par ailleurs d’un intéressant essai sur Nietzsche et Voltaire, deux esprits européens essentiels, le premier ayant été un inconditionnel admirateur du second.
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samedi 8 juin 2024
Pensées et anecdotes (Diogène le Cynique)
De Diogène de Sinope, dit le Cynique, il ne nous est parvenu aucun écrit. Finalement, ne nous reste de lui que l’essence de sa philosophie, exprimée en paroles et en actes. Une manière de traverser la vie, de transvaluer les valeurs, de transgresser la morale, de faire la nique aux puissants, d’ironiser sur son entourage, de l’indigner par ses frasques et exhibitions. Si cet anar et ascète de la Grèce antique n’est pas tombé dans l’oubli, c’est grâce à Dion Crysostome et Diogène Laërce qui se sont attachés à écrire son histoire en compilant les sources dont ils ont pu disposer. Les textes où le philosophe est évoqué sont rassemblés dans ce petit livre. En forme de bréviaire pour mieux comprendre le cynisme comme règle de vie possible face aux conventions et aux schémas sociaux. On se plaît à imaginer un Diogène vivant au sein de la dégoûtante modernité libérale. Diogène en gilet jaune, en SDF, en débauché, en mode Zarathoustra corrigeant à coups de bâtons les « derniers hommes » de la place du marché.
mardi 19 juillet 2022
Ainsi parlait Zarathoustra - Aurore (Frédéric Nietzsche)
Voici
l'évangile des Hyperboréens, autrement dit des bons
Européens.
Ce à quoi nous étions en droit d'aspirer après deux mille ans de
monothéisme intransigeant. Nietzsche en rédige les pages
principales en altitude, dans la lumière épurée de l'Engadine.
Zarathoustra, c'est ce vieillard plein de jeunesse et de vitalité
(assez voisin du prophète perse Zoroastre) qui descend de sa
montagne dans l'espoir d'enseigner à tous que « l'homme est
quelque chose
qui
doit être surmonté ». Mais il se heurte à la population du
monde des plaines, urbanisée, anémiée. Et sa déception sera
grande. Cependant, ses péremptoires sentences, et ses paraboles ne
se sont pas envolées. Elles constituent un bréviaire contre la
médiocrité, la maladie, bref tous ces préceptes égalitaires et
cette compassion qui indisposaient tant Frédéric Nietzsche.
Une lecture pas toujours facile mais qui aère les neurones et dope le mental.
« Il y a tant d'aurores
qui n'ont pas encore lui. » Cette citation en exergue du livre
de Nietzsche, tirée du Rig-Veda, annonce la couleur. Dans ces pages,
notre éducateur patenté, partisan de philosopher à coups de
marteau, rend hommage à la pensée qui appartient à l'aurore des
temps, toujours actuelle. En particulier celle des Grecs, au sens
hellénistique. Civilisation qui, partie de rien, nous a laissé un
formidable héritage. Et à propos de laquelle Nietzsche écrit :
« Les Grecs nous offrent le modèle d'une civilisation et d'une
race devenues pures : espérons qu'un jour il se constituera
aussi une race et une culture européennes pures. » L'aurore
est ce qui succède à la nuit. C'est vers elle qu'il faut tourner
nos regards, elle seule peut nous enseigner comment s'élever
toujours plus haut, en aéronaute de l'esprit.
Décadence (Michel Onfray)
Onfray a abandonné depuis longtemps la ligne commode du
politiquement correct. Il dirige une intéressante revue intitulée
Front populaire et continue à publier des livres à un rythme
effréné. Décadence est le second tome d’une trilogie qui
commence avec le panthéiste Cosmos et s’achève sur le
philosophique Sagesse. Ce
volume nous a
paru d’un haut intérêt puisqu’il s’attaque au
judéo-christianisme dans tout ce qu’il a de néfaste et de
délétère pour notre civilisation. Cet inventaire est édifiant. De
Paul le prédicateur fou au concile de Vatican II, le règne du
monothéisme aura entraîné l’Europe dans un processus de
décadence qu’Onfray décrit par le détail tout au long de ces 800
pages. L’Inquisition, les croisades, les guerres de religion, la
Révolution, les totalitarismes soi-disant athées et matérialistes
mais qui fonctionnent comme des religions (intéressantes
informations sur un Hitler qui aurait eu des accointances avec le
christianisme, à prendre ou à laisser…). Tout est lié. La secte
prosélyte est parvenue à triompher de Rome au point d’y installer
carrément son Église.
L’ennemi était d’abord dans la cité, et non aux frontières de
l’Empire… Une réalité qu’on a tendance à oublier dans nos
sociétés contemporaines gangrenées pas l’intégrisme religieux.
dimanche 31 janvier 2021
Les avalanches de Sils-Maria (Michel Onfray)
Michel Onfray publie beaucoup. On pourrait l'imaginer le cul vissé à
la chaise de bureau. Il lui arrive pourtant de voyager. Grand Nord,
Inde, Guyane, Polynésie... Dernièrement, il s'est transporté à
Sils-Maria, lieu mythique ou Nietzsche séjourna quasiment chaque
été, entre 1881 et 1888, au cœur de l'Alpe et des lacs d'altitude.
Car Onfray déplore que tant de ses semblables (Foucault, Deleuze,
Derrida, Bataille) aient travaillé sur la pensée de Nietzsche en
dissociant celle-ci de sa vie. Sils-Maria a été le principal
laboratoire de l'écriture d'Ainsi parlait Zarathoustra, ce
cinquième évangile s'adressant aux Hyperboréens, dans lequel le
surhomme s'inscrit plus qu'en filigrane, tournant délibérément le
dos au virus judéo-chrétien. C'est aussi dans cette Engadine dotée
d'un air si pur que Nietzsche fut frappée par la vision de l'éternel
retour. Après avoir planté le décor et ce qu'il aura inspiré à
Nietzsche, Onfray dévie ensuite sur l’œuvre en général, sur la
morale nietzschéenne, comme invite à « parvenir à la joie
païenne d'être au monde ». Il remet quelques pendules à
l'heure à propos des écrits posthumes trafiqués par sa sœur (qui
tourne un peu à l'obsession), et sur les fausses mais tenaces
rumeurs habituelles (les soldats allemands munis d'Ainsi parlait
Zarathoustra dans leur besace, et Hitler grand lecteur de
Nietzsche – il lui préférait Schopenhauer).
Depuis quelques années, il semble que
Michel Onfray soit passé d'athée à panthéiste. Mais il continue à ne pas aimer les
religions du Livre. Et, sur ce point, à qui d'autre qu'à l'ermite
de Sils-Maria pouvait-il mieux rendre hommage ?
lundi 18 janvier 2016
Faits divers (Clément Rosset)
En apparence,
Clément Rosset ne dérange pas le consensus, comme s'y essayent
parfois, si l'on s'en tient au domaine de la philosophie, un Alain
Filkienkraut ou un Michel Onfray. Mais Rosset creuse en profondeur,
pour ainsi dire sous les fondations. Il nous avait donné La Force
majeure, des notes sur
Nietzsche, sur Cioran et surtout sur la joie ; c'était faire le
grand écart entre un concept qui n'est nietzschéen que dans
l'acquiescement à la vie, et plutôt étranger à Cioran. C'est que
notre homme aime les défis. Faits divers,
recueil d'entretiens et de textes, pourrait faire penser à un
fourre-tout puisqu'il y est question, outre de ses maîtres Nietzsche
et Cioran, de Freud, de Georges Bataille, d'Astérix, de Casanova,
des dandys ou du baiser... C'est plutôt, comme l'annonce l'éditeur,
des miscellanées où l'auteur a jeté toute la richesse et la
diversité de sa pensée.
On
ne cherchera pas dans ce livre, tout comme dans les précédents, des
remèdes, des solutions, des jugements.
Ni utopiste ni moraliste, Rosset énonce que si le
grand dessein de la philosophie a pu être de rendre l'homme
meilleur, la structure des sociétés n'en a pas été bouleversée
pour autant. Le philosophe peut être méchant mais en aucun cas
dangereux. C'est par ce genre d'analyse
que Rosset fait preuve d'humilité – d'une lucide humilité
– mais ébranle surtout le statut du « philosophe engagé »
qui est pour lui un imposteur. Il est facile et plutôt convenable de
passer l'actualité au prisme de l'idéologie (quitte à déformer
les faits) comme l'ont fait Sartre en son temps, et BHL ou Badiou
aujourd'hui. Ce n'est pas la voie dans laquelle Rosset a engagé sa
réflexion. Il
l'énonce du reste clairement : « Il n'y a rien de
plus irréel que ce qu'on appelle l'actualité », précisant
que
s'extraire
des contingences du moment serait le plus sûr moyen de voir la
philosophie suivie d'effets. Et de citer Schopenhauer (à
propos duquel
on lira ici quatre textes d'un grand intérêt) pour
qui l'histoire a pour principale fonction de dissimuler le caractère
répétitif du monde.
Bien entendu, on
ne fera pas la révolution un livre de Rosset à
la main, mais sa lecture est toujours vivifiante, à cent coudées
au-dessus de la vulgarité de l'idéologie universaliste et
égalitariste qui ne semble plus travailler qu'à éradiquer la
mémoire ; mémoire dont la réalité se tient précisément à
l'opposé d'une actualité éphémère
et pleine d'incohérences.
lundi 27 juillet 2015
Nietzsche ou la sagesse dionysiaque (Rémi Soulié)
« C'est la
folie qui aplanit le chemin de l'idée nouvelle (…), les hommes
d'autrefois étaient bien plus près de l'idée que là où il y a de
la folie il y a aussi un grain de génie et de sagesse. » Le
sage dionysien est celui qui dit oui à la vie, c'est-à-dire
à soi-même et à toute l'existence. Donc un élément qui a pris
ses distances avec l'esprit de troupeau, un entrepreneur de
démolition et un créateur. Voilà la sagesse au sens extra-moral.
Cet
essai, étayé de percutantes citations, enchantera ceux qui se sont
donné pour compagnon de route l'ermite de Sils Maria, mais aussi les
amateurs de mythe et de philosophie non conforme.
mercredi 10 septembre 2014
Présence de la nature (Marcel Conche)
Marcel
Conche, fils de paysans corréziens, est professeur émérite à la
Sorbonne. Il est connu pour ses écrits sur les philosophes grecs.
Ses maîtres et compagnons de route se nommant Héraclite, Démocrite
et Platon, il est normal qu'il ait fait appel à eux pour rédiger
cet essai sur et autour de la nature. On s'aperçoit en le parcourant
que le domaine est vaste, qu'il permet de disserter sur le néant, le
monde, l'univers et bien d'autres aspects ou non aspects de notre
environnement immédiat. C'est aussi pourquoi, outre les philosophes
atomistes, Conche convoque la pensée d'Epicure, de Pascal et de
Montaigne pour tenter d'appréhender la nature et en particulier à
déterminer quelle est sa relation au temps. A la suite d'Heidegger,
il explore les chemins de l'être et de l'étant. Tout cela nous
ramène immanquablement à l'intelligence, aux sens et à cette
« nuit que l'homme est à lui-même », pris entre fini et
infini.
La
matière de ce livre, suite de textes inédits, parus dans des revues
ou prononcés lors de conférences, autorise aussi son auteur à
emprunter quelques chemins de traverse. A cette pudeur qui le
caractérise, il confie la difficulté de penser en s'extrayant de
l'actualité, du non durable, ainsi que s'y sont astreints ses
prédécesseurs grecs. Qu'est-ce qui peut garder une signification à
n'importe quel stade de l'histoire humaine ? questionne-t-il. La
réponse est sans détour : aller à l'essentiel, nous
déposséder de l'ostentatoire, des richesses et de la notoriété ;
voici au fond l'axe principal de la philosophie.Il n'est du reste nul
besoin d'avoir usé les bancs de l'Université pour « gagner »
en authenticité. Une forme de vie qui ne peut être conçue qu'en
prêtant l'oreille à ces démons qui invitent à la désobéissance
civile.
Dans
la dernière partie de l'ouvrage, Conche décrypte la poésie de
Rimbaud – tout comme celle contenue dans la correspondance de Rosa
Luxemburg. Puisque la poésie est fondée à s'exprimer sur la Nature
et ses arcanes (selon Heidegger, il n'est pas de meilleure approche
du langage que cet art qui nomme le sacré).
Conche
est un penseur atypique. Il l'a montré dans ses livres. Présence
de la nature ne déroge pas à cette règle. Il sort du lot de la
production actuelle où Onfray s'enfonce dans le verbiage,
Comte-Sponville dans la vulgate et Ferry dans sa vaine (bien que
courageuse) tentative passée d'appliquer quelques préceptes de la
République de Platon à l'éducation de nos enfants. Une lecture
parfois ardue mais d'un intérêt certain.
mardi 9 septembre 2014
Première considération inactuelle (Frédéric Nietzsche)
Cette
première considération n'est pas la plus connue. Elle a permis à
David Strauss, bien malgré lui, de passer à la postérité par
l'éreintement que lui fait subir le philosophe au marteau. En se
dressant contre une oeuvre convenue, Nietzsche pourfend la faiblesse,
l'assèchement, l'aridité, la confusion et la préoccupation pour le
commerce. Il invoque la force et la fécondité qui doivent seules
alimenter toute entreprise culturelle, et remet par là les pendules
à l'heure au sein d'une société allemande déjà déliquescente.
Ce qu'il déplore est aussi et toujours ce que nous déplorons : « Il
y eut un temps, éloigné il est vrai, où le philistin était toléré
tant bien que mal comme quelque chose qui ne parlait pas, et de qui
l'on ne parlait pas : puis il y eut un temps nouveau où l'on
caressait ses rides, où on le trouvait drôle et où l'on parlait de
lui. »
Quant
à ce goût pour la nouveauté et l'originalité telles
qu'elles monopolisent désormais les esprits (et aujourd'hui bien
plus qu'hier), Nietzsche est catégorique : « Il est
indifférent que cette croyance soit nouvelle ou ancienne, originale
ou imitée, alors qu'il importerait qu'elle soit seulement
vigoureuse, saine et naturelle. »
vendredi 5 septembre 2014
Les philosophes, vie intime (Pierre Riffard)
Les
Philosophes ont-ils mis leurs actes en adéquation avec leurs
pensées ? Bergson demandait à ce que nul ne cherche à s’en
assurer, souhaitant préserver sa vie privée. Sartre ne supportait
pas que Camus s’accorde à vivre ses passions, lui déniant par là
le titre de philosophe. Mais les autres ? Si on analyse la vie
des grands esprits, on peut relever quelques constantes. Le
philosophe est souvent expatrié, exilé ou instable
géographiquement. Quant aux problèmes familiaux – orphelins, non
reconnus, mauvais pères –, ils ont tendance pour lui à se
généraliser. Rarement autodidactes ou précoces, comme les
musiciens, les penseurs livrent leur première œuvre tardivement.
Généralement rétifs aux religions, malheureux en amour, dérangés
mentalement, malades, mal rétribués ou pas du tout pour leur écrits
– à défaut d’être reconnus tardivement –, ils connaissent de
nombreuses déconvenues. Pierre Riffard déroule ces vies rarement
ordinaires de manière attrayante, animant son essai d’une foule
d’anecdotes et d’informations que les traités de métaphysique
et d’épistémologie laissent rarement transparaître. La pensée
vue sous un angle inédit.
Journal de voyage d'un philosophe (Hermann de Keyserling)
Ecrite
au début du XXème siècle, avant le premier conflit mondial, cette
analyse bénéficie de la liberté de ton d’une époque où les
lois Gayssot et autres puritanismes ne muselaient pas les
intelligences pour les dresser à n’accoucher que d’insipides
réflexions "relativistes" sur les réalités biologiques.
Pensées philosophiques (Diderot)
Diderot
prévient le quidam qui prétendrait s'attaquer à la lecture de ce
livre : il ne se classe pas du côté des hommes communs auxquels
conviennent de sobres opinions. "Si ces pensées ne plaisent à
personne, elles pourront n'être que mauvaises ; mais je les tiens
pour détestables si elles plaisent à tout le monde." Mais si le philosophe des lumières cherche
la vérité, ce n'est pas nécessairement pour la trouver. Ainsi
quand il questionne sur Dieu et son immanence, il n'exclut pas de se
tromper. C'est donc à une méditation où rien n'est arrêté ou
déterminé qu'il s'exerce, car la vérité est exercice difficile,
surtout lorsque la foi et la révélation s'en mêlent. "On
risque autant à croire trop qu'à croire trop peu." De même
que l'ignorance peut se montrer plus dévastatrice que la méchanceté.
Finalement, aux monothéismes figés, Diderot préfère
le déisme selon Voltaire. Une analyse qui ne laisse pas insensible.
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