jeudi 3 octobre 2019

On attendra Victoire (Arnaud Bordes)


Arnaud Bordes revient. Toujours surprenant dans ce qui l'inspire, ce qu'il privilégie dans les thèmes abordés. Les deux parties de On attendra Victoire, si elles sont bien distinctes, se répondent en échos. S'y tiennent concurremment les obsessions et exigences de l'auteur. Bordes s'investit et s'immerge dans ce qu'il commet. Il faut le savoir avant de s'embarquer à ses côtés.
En une soixantaine de pages, d'abord, une richesse de ton et de situations nous fait assister à la fin d'un monde... ou ce qui y ressemble farouchement. On est directement projeté dans une succession d'horreurs. On croise des escadrons de francs-tireurs, des milices communautaristes ; on déambule au bord des charniers, on chemine au milieu de conurbations bombardées, ruinées, pleines de putains, de migrants, de rats, de chiens errants. Il y a des agonies, des meurtres de masse, des éventrements, des « disparitions inquiétantes ». L'air est saturé de virus et de la pesante atmosphère des lois martiales. Parfois, on croise la beauté d'une jeune fille, comme celle de Jeanne Sixte, qui nous fait évidemment penser à l'inoubliable Annemarie Pop, mi-ange mi-diablesse, de Pop conspiration, précédent opus de Bordes. De telles figures prennent place dans quelques instants de grâce (à lire de bons livres, à écouter de la musique pop, à siroter du Darjeeling). Car il faut bien faire des pauses face à l'indicible, à cette chronique aux allures de saga mais qui passe telle une comète sulfureuse et fuligineuse.
Parce que l'automne est faux est une partie plus apaisée. En apparence seulement. Journal littéraire, donc principalement traversé par des recensions et impressions de lectures, il relate également quelques rencontres mais sur lesquelles Bordes ne s'étend pas. Tout comme il reste discret sur lui-même. On déplore en effet de ne trouver que peu d'information sur l'homme écrivain, sinon quand il abjure certains de ses écrits – ce en quoi il a tort car tout est à prendre chez cet orfèvre rare. Bordes abjure donc, mais il procède aussi à des autodafés de ses lectures. Forcément, il y en a quand on laisse pas de s'aventurer dans des univers insoupçonnés, oubliés, de traquer une forme d'hypermodernité du côté des anciens, auteurs pour la plupart inconnus d'un lectorat qui n'aspire qu'à vivre avec son temps et au plus près de celui-ci.
Dans cette lecture, comme il en est d'ailleurs pour toutes les productions d'Arnaud Bordes où la qualité prend le pas sur la quantité, il faut avancer lentement, interroger le paragraphe, la richesse du vocabulaire, goûter à l'humus de ce que l'écrivain veut nous communiquer. Rien n'est laborieux ni filandreux dans cette prose qui se suffit à elle-même. « Je ferai des phrases courtes, j'aurai alors la lumière », lit-on en fin de volume. On a envie d'ajouter : relire et lire entre les lignes, ne pas s'imaginer qu'un livre d'Arnaud Bordes s'épuise à l'image de la si ordinaire et consensuelle littérature d'aujourd'hui, actuelle, trop actuelle...

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