Arnaud Bordes revient. Toujours surprenant dans ce qui l'inspire, ce qu'il privilégie dans les thèmes abordés. Les deux parties de On attendra Victoire, si elles sont bien distinctes,
se répondent en échos. S'y tiennent concurremment les obsessions et
exigences de l'auteur. Bordes s'investit et s'immerge dans ce qu'il
commet. Il faut le savoir avant de s'embarquer à ses côtés.
En une soixantaine de pages, d'abord,
une richesse de ton et de situations
nous fait assister à la fin d'un monde... ou ce qui y ressemble
farouchement. On est directement projeté dans une succession
d'horreurs. On croise des escadrons de francs-tireurs, des milices
communautaristes ; on déambule au bord des charniers, on
chemine au milieu de conurbations bombardées, ruinées, pleines de
putains, de migrants, de rats, de chiens errants. Il y a des agonies,
des meurtres de masse, des éventrements, des « disparitions
inquiétantes ». L'air est saturé de virus et de la pesante
atmosphère des lois martiales. Parfois, on croise la beauté d'une
jeune fille, comme celle de Jeanne Sixte, qui nous fait évidemment
penser à l'inoubliable Annemarie Pop, mi-ange
mi-diablesse, de Pop conspiration,
précédent opus de Bordes. De telles figures prennent place dans
quelques instants de grâce (à lire de bons livres, à écouter de
la musique pop, à siroter du Darjeeling). Car il faut bien faire des
pauses face à l'indicible, à cette chronique aux allures de saga
mais qui passe telle une comète sulfureuse et fuligineuse.
Parce que l'automne est faux
est une partie plus apaisée.
En apparence seulement. Journal littéraire, donc principalement
traversé par des recensions et impressions de lectures, il relate
également quelques rencontres mais sur lesquelles Bordes ne s'étend
pas. Tout comme il reste discret sur lui-même. On déplore en effet
de ne trouver que peu
d'information sur l'homme écrivain, sinon quand il abjure certains
de ses écrits – ce en quoi il a tort car tout est à prendre chez
cet orfèvre rare. Bordes abjure donc, mais il procède aussi à des
autodafés de ses lectures. Forcément, il y en a quand on laisse pas
de s'aventurer dans des univers insoupçonnés, oubliés,
de traquer une forme
d'hypermodernité du côté des anciens, auteurs pour
la plupart inconnus
d'un lectorat qui
n'aspire qu'à vivre avec son temps et au plus près de celui-ci.
Dans
cette lecture, comme il en est d'ailleurs pour toutes les productions
d'Arnaud Bordes où la qualité prend le pas sur la quantité, il
faut avancer lentement, interroger le paragraphe, la richesse du
vocabulaire, goûter à l'humus de ce que l'écrivain veut nous
communiquer. Rien
n'est laborieux ni filandreux dans cette prose qui se suffit à
elle-même. « Je
ferai des phrases courtes, j'aurai alors la lumière », lit-on
en fin de volume. On a
envie d'ajouter : relire et lire entre les lignes, ne pas
s'imaginer qu'un livre d'Arnaud Bordes
s'épuise à
l'image de la si
ordinaire et consensuelle littérature d'aujourd'hui, actuelle, trop
actuelle...
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