Flynn aurait voulu devenir écrivain. Il a laissé des récits sur sa vie. Comme celle-ci était riche et mouvementée, elle a suffi à nourrir sa prose. Car avant d’être acteur, Flynn a connu une existence aventureuse. Comme trafiquant d’esclaves et chercheur d’or du côté de la Nouvelle-Guinée, où il lui est aussi arrivé de tuer pour défendre sa peau. Selon lui, il n’avait pas de talent particulier mais était « assez seigneurial », et cela suffit aussi à le faire entrer dans le monde du cinéma presque naturellement, sans qu’il ait eu à forcer le destin. Cet expérience d’acteur ne prend pas une place déterminante dans ce livre de souvenirs mais son témoignage sur le milieu n’est pas inintéressant. Il n’y trouvera pas de quoi freiner en tout cas son addiction pour les femmes, une autre forme d’aventure. « Les femmes m’aident à me rendre compte que je suis vivant », écrit-il. Les femmes, les filles faciles, les putains, et même les mineures, ce qui lui vaudra quelques démêlés judiciaires. Et lui qui déclarait ne pas aimer le mariage se sera tout de même passé trois fois la bague au doigt… Publiés peu avant sa mort, à 50 ans, causée par une autre addiction, due à l’alcool, celle-ci, ces mémoires retranscrivent un itinéraire qui n’a rien de très convenable mais se révèle toujours passionnant, et démontrent que Flynn était bien plus qu’un acteur doté d’un physique de jeune premier.
samedi 8 juin 2024
Blanc (Sylvain Tesson)
Les livres de Tesson sont toujours essentiels. Ils incitent à sortir de la morosité ambiante. C’est comme ça, on n’y peut rien. Il n’est qu’à se laisser porter par la magie que dégage chacun de ses récits. Ce garçon qui ne saurait rester en place, toujours avide d’élargir les horizons, de connaître des sensations nouvelles, de creuser la distance avec un monde sclérosé au risque de se perdre, est un écrivain non identifié dans notre paysage littéraire... mais que nous autres, bons Européens, avons identifié. Blanc est le récit d’une traversée des Alpes, un périple rédigé dans une prose ample et sûre, à laquelle Tesson nous a habitués. (Petit rectificatif, au passage, cher Sylvain, Whymper n’est pas mort au Cervin !) Durant quatre hivers, notre wanderer parcourt les hauteurs sur un exceptionnel terrain de jeu, entre neige, glace et rocher, accompagné d’un guide et d’un troisième larron, issu d’une de ces rencontres improbables sur les hauteurs, à 6000 pieds au-dessus de la mer. « Le vent se levait sur les crêtes. Les sommets fumaient, nous continuâmes à monter par un mur de neige fraîche. Très vite, l’air devint blanc et le blanc du ciel se mêla au blanc de la terre et ce fut le blanc total. »
Jungborn (Eugen Guido Lammer)
Le premier volume de Jungborn est paru en 1931 sous le titre « Fontaine de jouvence ». Lammer y décrit ses ascensions dans les Alpes dont beaucoup de sommets sont encore inviolés. Il n’existe guère alors de topo descriptif des itinéraires. Le matériel est celui de la fin du XIXe siècle. Pas de radio, pas d’hélico en cas de pépin, et pas de refuges aménagés ou disposés près des sommets. Sans compter des prévisions météo nettement moins fiables qu’aujourd’hui... Il est agréable de suivre Lammer, docteur en philosophie et alpiniste extraordinairement déterminé à réaliser ses courses, parfois seul, parfois accompagné par le compère Lorria ou sa jeune épouse (mais mettant un point d’honneur à ne jamais solliciter les services d’un guide). Lammer est un pionnier qui aura influencé des armées de grimpeurs. Il monte vite et bien. La fréquentation du danger lui est nécessaire. La conquête d’un sommet est pour lui comparable à une bonne dose de morphine. « Nous voulons imprégner tout notre être de la sereine beauté de nos montagnes et de l’esprit d’abnégation et d’héroïsme », écrit-il. Ainsi l’alpiniste associe-t-il la montagne à une sorte de spiritualité, de transcendance, bien entendu verticale. (Saint-Loup s’inspirera de Lammer pour composer le héros de son grandiose roman Face Nord.)
Même si ces récits peuvent sembler un peu répétitifs, l’auteur a un style agréable et fluide, à rapprocher de celui des poètes romantiques qu’il lisait d’ailleurs assidûment. Des accents et des élans qui manquent à la littérature de montagne contemporaine au style terne, car essentiellement journalistique.
Dans le second volume de Jungborn (inédit jusqu'ici en France) : on lira de nouveaux récits de courses ainsi que des considérations sur la montagne comme éthique de vie. Avec, toujours en toile de fond, cette sentence : « C’est pour vous découvrir vous-même que vous montez sur les cimes. »
mardi 19 juillet 2022
1939-1945, une enfance en sursis (Jean-Claude Favrit)
Comme le précise le sous-titre de l'ouvrage, l'auteur avait douze ans en 1938 et il a vu la guerre arriver. Et puis le malheur, les privations, les cataclysmes. De ces années, Jean-Claude Favrit (père de notre collaborateur Bruno Favrit) se souvient précisément. Il en a rédigé la narration, au grand âge de 93 ans, avec une hauteur de vue qui permet d'apprécier les événements dans toute leur dimension, ainsi que les conséquences qu'ils portaient en eux. Riche d'enseignements, d'anecdotes et de réflexions, cette Enfance en sursis permet aussi de réviser l'Histoire, mise en perspective avec un récit efficace, sans pathos mais émouvant et attachant.