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samedi 8 juin 2024

Mémoires (Errol Flynn)

 

Flynn aurait voulu devenir écrivain. Il a laissé des récits sur sa vie. Comme celle-ci était riche et mouvementée, elle a suffi à nourrir sa prose. Car avant d’être acteur, Flynn a connu une existence aventureuse. Comme trafiquant d’esclaves et chercheur d’or du côté de la Nouvelle-Guinée, où il lui est aussi arrivé de tuer pour défendre sa peau. Selon lui, il n’avait pas de talent particulier mais était « assez seigneurial », et cela suffit aussi à le faire entrer dans le monde du cinéma presque naturellement, sans qu’il ait eu à forcer le destin. Cet expérience d’acteur ne prend pas une place déterminante dans ce livre de souvenirs mais son témoignage sur le milieu n’est pas inintéressant. Il n’y trouvera pas de quoi freiner en tout cas son addiction pour les femmes, une autre forme d’aventure. « Les femmes m’aident à me rendre compte que je suis vivant », écrit-il. Les femmes, les filles faciles, les putains, et même les mineures, ce qui lui vaudra quelques démêlés judiciaires. Et lui qui déclarait ne pas aimer le mariage se sera tout de même passé trois fois la bague au doigt… Publiés peu avant sa mort, à 50 ans, causée par une autre addiction, due à l’alcool, celle-ci, ces mémoires retranscrivent un itinéraire qui n’a rien de très convenable mais se révèle toujours passionnant, et démontrent que Flynn était bien plus qu’un acteur doté d’un physique de jeune premier.

Blanc (Sylvain Tesson)

 

Les livres de Tesson sont toujours essentiels. Ils incitent à sortir de la morosité ambiante. C’est comme ça, on n’y peut rien. Il n’est qu’à se laisser porter par la magie que dégage chacun de ses récits. Ce garçon qui ne saurait rester en place, toujours avide d’élargir les horizons, de connaître des sensations nouvelles, de creuser la distance avec un monde sclérosé au risque de se perdre, est un écrivain non identifié dans notre paysage littéraire... mais que nous autres, bons Européens, avons identifié. Blanc est le récit d’une traversée des Alpes, un périple rédigé dans une prose ample et sûre, à laquelle Tesson nous a habitués. (Petit rectificatif, au passage, cher Sylvain, Whymper n’est pas mort au Cervin !) Durant quatre hivers, notre wanderer parcourt les hauteurs sur un exceptionnel terrain de jeu, entre neige, glace et rocher, accompagné d’un guide et d’un troisième larron, issu d’une de ces rencontres improbables sur les hauteurs, à 6000 pieds au-dessus de la mer. « Le vent se levait sur les crêtes. Les sommets fumaient, nous continuâmes à monter par un mur de neige fraîche. Très vite, l’air devint blanc et le blanc du ciel se mêla au blanc de la terre et ce fut le blanc total. »

Jungborn (Eugen Guido Lammer)

 


Le premier volume de Jungborn est paru en 1931 sous le titre « Fontaine de jouvence ». Lammer y décrit ses ascensions dans les Alpes dont beaucoup de sommets sont encore inviolés. Il n’existe guère alors de topo descriptif des itinéraires. Le matériel est celui de la fin du XIXe siècle. Pas de radio, pas d’hélico en cas de pépin, et pas de refuges aménagés ou disposés près des sommets. Sans compter des prévisions météo nettement moins fiables qu’aujourd’hui... Il est agréable de suivre Lammer, docteur en philosophie et alpiniste extraordinairement déterminé à réaliser ses courses, parfois seul, parfois accompagné par le compère Lorria ou sa jeune épouse (mais mettant un point d’honneur à ne jamais solliciter les services d’un guide). Lammer est un pionnier qui aura influencé des armées de grimpeurs. Il monte vite et bien. La fréquentation du danger lui est nécessaire. La conquête d’un sommet est pour lui comparable à une bonne dose de morphine. « Nous voulons imprégner tout notre être de la sereine beauté de nos montagnes et de l’esprit d’abnégation et d’héroïsme », écrit-il. Ainsi l’alpiniste associe-t-il la montagne à une sorte de spiritualité, de transcendance, bien entendu verticale. (Saint-Loup s’inspirera de Lammer pour composer le héros de son grandiose roman Face Nord.)

Même si ces récits peuvent sembler un peu répétitifs, l’auteur a un style agréable et fluide, à rapprocher de celui des poètes romantiques qu’il lisait d’ailleurs assidûment. Des accents et des élans qui manquent à la littérature de montagne contemporaine au style terne, car essentiellement journalistique.

Dans le second volume de Jungborn (inédit jusqu'ici en France) : on lira de nouveaux récits de courses ainsi que des considérations sur la montagne comme éthique de vie. Avec, toujours en toile de fond, cette sentence : « C’est pour vous découvrir vous-même que vous montez sur les cimes. »

mardi 19 juillet 2022

1939-1945, une enfance en sursis (Jean-Claude Favrit)

 


Comme le précise le sous-titre de l'ouvrage, l'auteur avait douze ans en 1938 et il a vu la guerre arriver. Et puis le malheur, les privations, les cataclysmes. De ces années, Jean-Claude Favrit (père de notre collaborateur Bruno Favrit) se souvient précisément. Il en a rédigé la narration, au grand âge de 93 ans, avec une hauteur de vue qui permet d'apprécier les événements dans toute leur dimension, ainsi que les conséquences qu'ils portaient en eux. Riche d'enseignements, d'anecdotes et de réflexions, cette Enfance en sursis permet aussi de réviser l'Histoire, mise en perspective avec un récit efficace, sans pathos mais émouvant et attachant.


jeudi 3 octobre 2019

Une très légère oscillation (Sylvain Tesson)



Ce n'est pas le meilleur Tesson. Et contrairement à ce qui est indiqué sur la couverture ce n'est pas un journal. Plutôt un recueil de textes déjà parus dans diverses revues, rassemblés et agencés pour la circonstance. Géographie de l'instant, ouvrage constitué sur le même principe est, selon nous, plus essentiel. Seulement, Tesson est un garçon dont on ne doit bouder aucun des livres. Car il vit et plane très au-dessus de la production littéraire du moment. Il parcourt la planète, s'en va méditer dans une cabane au bout du monde, entretient le goût du risque et des excès, boit trop, manque finir ses jours en bas d'un chalet qu'il a tenté d'escalader, sort du coma, se réadapte en traversant la France à pied (thème des Chemins noirs), réalise qu'il avait aussi des trésors à portée de main, puis le prurit du voyage lointain le reprend. Au fond, il demeure fidèle à lui-même. Son style continue de baigner dans la passion déraisonnable, le désenchantement, l'humour, le cynisme. Il est jalonné d'aphorismes, de coups de cœur, de coups de gueule (contre Daech et les monothéismes abrutissants, liste non exhaustive). Ce qui fait aussi la richesse de Tesson c'est son côté très peu consensuel. Il nous a révélé dans son récit Dans les forêts de Sibérie que ses lectures ne le sont pas moins. Ça nous change de la soupe ordinaire et nous ne serions pas fâchés que la littérature actuelle soit plus souvent animée d'aussi légères oscillations.

mardi 28 juillet 2015

Géographie de l'instant (Sylvain Tesson)

Un recueil de textes, certes, mais peut-être à ce jour qui constitue le livre le plus riche de Tesson – à l'instar du Qu'est-ce que je fais là ?, de Bruce Chatwin. Dans cette Géographie de l'instant, l'auteur enseigne en effet une doctrine de vie et fait part des observations sur le monde d'un « marcheur converti à l'ascétisme de la piste », lui-même en l'occurrence. Et s'il s'interroge sur l'impératif de partir, de voyager, sa réponse est qu'il n'a trouvé aucun motif de ne pas le faire. Il ressent intensément ce besoin et il le fait savoir. Dans le même temps, il ne raconte pas d'histoires et sait aller à l'essentiel. En particulier quand il évoque la Russie, un territoire où tout semble encore possible. Le texte « Vivre, boire et se pardonner » est chargé de significations et témoigne du don d'observation de l'auteur. Ainsi : « Les Russes possèdent le don de jeter toutes leurs forces dans la bataille de l'instant », et encore : « Moi, quand j'arrive en Russie, je respire. Comme si on avait ouvert la fenêtre. » Cette culture s'accorde sans doute avec les principes d'ascétisme que Tesson s'est donnés, un peu aménagés tout de même puisque l'alcool n'en est pas absent. (Ce qu'il a payé cher lors de l'escalade du chalet de Jean-Christophe Ruffin...)
Mais, sous bien d'autres horizons, il trouve matière à exprimer sa différence, et l'abîme qui le sépare parfois de la condition de ses semblables (même s'il lui faut parfois savoir sacrifier aux obligations et impératifs germanopratins). Et quand il manifeste sa réprobation, il ne va pas toujours dans le sens du politiquement correct. Nous n'en sommes pas dupes, le statut d'écrivain-voyageur implique le plus souvent un attachement modéré à un système qui déploie essentiellement ses tentacules au sein des métropoles et que sous-tend un relativisme utopique, relativisme en fait tout « relatif » propre aux sociétés occidentales. Par exemple, dans le Paris socialiste, on ne fête pas le carnaval ou la fin du carême mais le nouvel an chinois ou la fin du ramadan. Comment aimer le Paris socialiste, et le Paris tout court, cette figure moderne de l'Urbs ? Là est toute la question quand les vastitudes vous appellent...
Quant aux livres qui l'ont accompagnés, peut-on dire qu'ils ont contribué à faire de Tesson un homme complet, homme d'action autant que de pensée ? Sans doute du fait que ses lectures ne sont pas anodines. Qu'on en juge : Hamsun, Matzneff, Cioran, Nietzsche, Schopenhauer, Jünger, Mishima, Morand ou Keyserling. Nous avions eu un aperçu de ces viatiques lors de la lecture de Dans les forêts de Sibérie, déjà chroniquée dans ce blogue. Du reste, cette Géographie se termine sur un magistral éloge de la lecture. (« Le livre sacre le lieu où il est lu. ») Et la boucle est bouclée.


mercredi 10 septembre 2014

Les années d'utopie (Jean-Claude Carrière)


Les Années d'utopie, ce sont les années 1968 et 1969, si bien nommées par Jean-Claude Carrière qui les a connues à New-York, Prague et Paris.
A New-York, en 1968, à l'ombre de la Beat generation, la libération sexuelle a atteint un degré dont on ne peut même pas rêver aujourd'hui. C'est aussi le temps de Taking off et de Greetings, du phénomène Beatles en plein trip hindou et du magazine Playboy. A Prague envahie par l'armée soviétique, on comprend mal (et surtout Milos Forman, ami de l'auteur) le phénomène mai 68 qui veut hisser le drapeau rouge là-bas alors qu'on veut l'abattre ici. L'auteur rappelle au passage le désastre de Yalta : « « Toute une grappe de peuples se retrouve sous le marteau-pilon du marxisme-léninisme par un trait de plume de trois vieillards. » Il remémore l'immolation de Jan Palach par laquelle celui-ci dénonçait l'utopie des utopies : la délation et le goulag. Carrière n'est pas plus tendre avec le mai 68 parisien. Il rappelle que le revirement gaulliste succéda au chaos comme un événement logique. 1969, c'est l'année des exactions de la bande à Baader et des Brigades Rouges (415 assassinats, plus de 15000 attentats !). On se projette aussi hors du monde réel en recourant aux paradis artificiels. La question essentielle devient : « What are you on ? » (Sur quoi es-tu, que prends-tu en ce moment ?) Un autre monde.
Soient deux années fertiles en rebondissements, mais surtout en errances et errements... Il y a bien d'autres révélations, remarques et rappels historiques utiles dans ce récit de souvenirs qui constitue un livre émouvant, certes drôle mais aussi lucide, puisqu'il contribue au déboulonnage de ce qui voudrait encore faire passer une névrose petite-bourgeoise pour un grand élan de générosité.


Les Borgia (Alexandre Dumas)






Alexandre Dumas, auteur prolifique et père du roman historique, avait commis une série relative aux crimes célèbres. Il s'intéresse ici à l'histoire des Borgia, et essentiellement aux figures du pape Alexandre VI et de son bâtard César. Il faut subir un assez long préambule, dans lequel Dumas plante le décor, avant d'entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire une succession de batailles et assassinats, où le mensonge, le reniement et la trahison mènent la danse. Une épopée sanglante dont Lucrèce est quasiment absente. Mais où la figure de son frère César, à elle seule, suffit à Dumas pour remplir son contrat : car César vérifie la sentence de Machiavel selon quoi les princes doivent « faire de l'art de la guerre leur unique étude et leur seule préoccupation ». Ce qui rejoint aussi la phrase de Caligula, rapportée par Suétone : « Peu importe qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent. »

Eloge des femmes mûres (Stephen Vizinczey)


Andràs Vajda est-il un simple personnage sorti de l'imagination de Stephen Vizinczey ou son double qui serait prétexte à confier quelques souvenirs amoureux ? On penche pour la seconde solution, car il est difficile de ne pas déceler dans cet Eloge des femmes mûres un caractère autobiographique. Le narrateur y déroule comment, dès l'adolescence, lui est venu le goût pour ces créatures dont l'appétit sexuel est encore très conséquent. Elles apparaissent pudiques, réservées, jusqu'à ce qu'elles acceptent de succomber en révélant leur vraie nature – fougueuse, évidemment ! Le jeune homme goûte au fruit défendu (dont le mari n'est parfois guère éloigné) et constate que la volupté n'a pas élu domicile ailleurs. Dès lors, il ira de conquêtes en conquêtes, ne recevant de désillusions que par la fréquentation de ses plus jeunes amantes.
Ces mémoires écrits dans un style enlevé, riches d'enseignements, souvent très drôle, ne dérapent jamais dans la vulgarité. Mais il est toujours possible de lire entre les lignes... Découvert sur le tard et d'abord publié à compte d'auteur, ce vibrant plaidoyer est désormais un classique incontournable.

Quand un crocodile mange le soleil (Peter Godwin)


Peter Godwin, journaliste new-yorkais, est né en Rhodésie. Il a servi dans l'armée de ce pays longtemps considéré comme l'âme sœur (et naturellement damnée) du régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Depuis la guerre d'indépendance, la Rhodésie est devenue Zimbabwe. Robert Mugabe y a instauré une dictature mais qui, du fait qu'elle soit à l'initiative de Noirs guidés par de « nobles idéaux marxistes », a fait avaler des kilomètres de couleuvres aux bonnes consciences occidentales. Celles-ci ont mis beaucoup de temps avant de condamner la chasse au Blanc érigée en sport national. Car au Zimbabwe, il ne fait pas bon être Caucasien, surtout si on a construit à la sueur de son front de riches exploitations fermières.

Peter Godwin, qui retourne voir régulièrement ses parents restés là-bas, constate et note au fil des ans la déliquescence dans laquelle plonge son pays natal. Le constat est amer. Depuis 1980, l'espérance de vie a chuté de 57 à 34 ans, 35 % de la population est atteinte du sida. Le pays détient le record mondial d'inflation et un taux de chômage de 70 % (chiffres de 2008). Quant à la politique de redistribution des terres, elle relève de la même gabegie, les nouveaux propriétaires noirs se révélant incapables d'appliquer les techniques et la rigueur de leurs prédécesseurs qui en avaient fait le grenier de l'Afrique. Godwin assiste, effaré, à la confiscation des biens des fermiers blancs par ces commandos de « vétérans » avinés et camés, aux méthodes autant musclées qu'illégales.

De manière plus intimiste, il rapporte la déchéance de ses parents et les nombreuses vexations qu'ils subissent. Jadis comptant parmi les garants de la richesse du pays, ils sont devenus des parias. Un témoignage qui se lit d'une traite malgré ses quelques concessions payées au dogme du politiquement correct. Pour comprendre l'actualité et la réalité d'un racisme africain.

Walden (Henry D. Thoreau)


C'est un livre phare, autobiographique, qui raconte la vie du poète Thoreau dans une cabane perdue au milieu des bois deux années durant ('expérience qu'a réitéré Sylvain Tesson durant 6 mois en Sibérie). Ces phrases extraites de l'ouvrage illustrent sa démarche. « Vers la fin de mars 1845, j'empruntai une hache et m'en allai dans les bois près de l'étang de Walden, près de l'endroit où j'avais l'intention de bâtir ma maison (…). Je m'en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu'elle avait à m'enseigner, afin de ne pas m'apercevoir, à l'heure de ma mort, que je n'avais pas vécu. » Thoreau se raconte, fait partager ses réflexions sans véritable projet ou plan. Il erre au gré de sa fantaisie et sous la prose se révèle sa poésie. L'auteur de Désobéissance civile, qui fut incarcéré pour avoir refusé de payer l'impôt, semble avoir trouvé dans la forêt une sérénité, celle inspirée par une vie simple et rude mais où la méditation garde sa place. Thoreau : un maître zen d'Occident !

mardi 9 septembre 2014

Oro (Cizia Zykë)



  Entreprendre la lecture d'Oro demande de se délester d'un certain nombre de préjugés. Car Cizia Zykë montre une considération très limitée pour l'idéologie des droits de l'homme. Il raconte son expérience de chercheur d'or au Costa Rica où il évolue (avec détermination et efficacité) au milieu des requins, des serpents, des larves et des scorpions – tous plus humains qu'animaux ou insectes... Pour mener à bien sa petite entreprise, qui ne connaîtra pas la crise, notre héros va devoir faire taire ses scrupules, ce à quoi sa vie aventureuse l'a heureusement habitué. Don Juan Carlos, ainsi qu'il se fait appeler, dresse les hommes à plier et à lui obéir, mais il éprouve aussi une certaine tendresse pour ceux qui accepteront de le suivre au fond d'une jungle inhospitalière pour travailler dur à l'extraction du métal précieux. Ce sont essentiellement des rebuts de la société et des repris de justice mais que cette équipée vont transformer. Quant aux plus chétifs, le passage par la Quebrada des Francès, va développer leur caractère et leur cage thoracique. Tous finiront le crâne rasé, manière de marquer leur appartenance à une société virile sur laquelle les lois et la comptabilité ne trouvent aucune prise.
Il y a dans Oro tous les ingrédients pour faire un bon roman d'aventure : des flics et des politiciens véreux, de la bagarre, de la coke, de l'alcool, des jeux de hasard, des magnums (champagne et armes à feu), des fêtes et des nymphettes. Seulement ici, on est dans la réalité.
La philosophie de ce livre est brute et sans appel. A un monde façonné pour les faibles, l'ancien légionnaire Zykë impose le sien et son refus de se soumettre. Face à l'hypocrisie, aux mensonges et aux jérémiades, il proclame la légitimité de la loi du plus fort. Un récit remarquable et rare par les temps d'émasculation qui courent.



vendredi 5 septembre 2014

L'Odyssée de l'Endurance (Ernest Shackleton)



Ce qu'a eu à connaître l'équipage du navire Endurance est une réalité dépassant la fiction. Lorsqu'en en 1914 Ernest Shackleton et ses hommes quittent les côtes de l'Angleterre pour entreprendre la traversée du continent antarctique, ils ignorent bien entendu que leur mission se soldera par deux ans de survie en milieu hostile. Broyé par les glaces, l'Endurance dut être abandonné et les hommes furent contraints à une difficile et lente progression sur une banquise disloquée jusqu'à une île austère et désolée où ils dresseront un campement de fortune. Mais outre d'avoir réussi à conduire ses hommes parmi les éléments déchaînés durant des mois, l'exploit de Shackleton, c'est aussi l'audacieuse tentative de navigation à travers l'océan rugissant en direction de la Géorgie du Sud, sur une coque de noix où il a pris place avec une poignée de volontaires. Terre isolée qu'il traversera, affrontant les glaciers et les falaises escarpées pour quérir des secours auprès d'une station baleinière. Dans sa préface à ce récit, Paul-Emile Victor déclare que cette performance ne fut répétée, dans les années Cinquante, que par "une équipe d'alpinistes chevronnés et suréquipés". Cette histoire vraie contient tous les ingrédients d'un grand récit d'aventure extrême et surtout la marque d'une volonté de survivre hors du commun. Attention aux nuits blanches !

Dans les forêts de Sibérie (Sylvain Tesson)


« Il est temps de quitter la ville et de tirer sur les discours le rideau des forêts. » Voilà le journal de bord d'un refuznik au pays des moujiks, un livre dont on ne peut évidemment que se réjouir, tant il est rare qu'une telle littérature soit proposée à un large public et de surcroît récompensée par un prix (Médicis essai 2011). Ce diable de Tesson, wanderer égaré dans un siècle qui n'est assurément pas fait pour lui, est parti se mesurer à la vie dans les bois. Six mois de quasi isolement au bord du lac Baïkal dans une cabane de 3 mètres sur 3. Pour affronter la solitude, et d'abord celle de l'hiver, Tesson a fait provision, de littérature de bonne tenue : Jünger, Nietzsche, Montherlant, Drieu, D. H. Lawrence, Déon, Mishima, Érik L'Homme, entre autres. (Et il met en exergue de son récit une citation de Hamsun, ce qui n'a, là encore, vraiment rien pour nous déplaire.) Également dans son barda : cigares cubains et litres de vodka Kedrovaïa... qu'il ne va pas consommer très modérément. Cette « partition du recours au forêts » est haute en couleur, enjouée, parfois traversée par des peines (la dulcinée de l'auteur restée en Europe envoie à celui-ci un message de rupture sur son téléphone satellite) et jamais ennuyeuse. Le journal de Tesson, rapporte également ses rencontres avec des pêcheurs, des gardiens du parc, parfois même des touristes égarés. L'occasion pour le lecteur de savourer quelques moments de dialogues hauts en couleur et de convivialité alcoolisée – c'est possible, même au fin fond des forêts de Sibérie. Les locaux ont leurs idées sur la décadence française qui les désole et les afflige. Ils plaignent sincèrement l'auteur de vivre en son pays au milieu des Arabes et des homosexuels (sic)... Mais, d'une certaine manière, celui-ci compatit : « Ce soir, vidant les bouteilles avec les coureurs de la Taïga, je choisis mon camp. Pour les dieux, les princes et les bêtes, et contre le code pénal ! » On se délectera aussi et surtout en ces pages de réflexions sur l'érémitisme que n'auraient déconsidérées ni Whitman ni Thoreau. À ce titre, Tesson est animé d'un « sentiment légèrement euphorisant de tenir un rôle de veilleur en marge d'une humanité dévoyée ». Il se plaint seulement de ne pas recevoir de visites féminines impromptues (du genre championne de ski danoise venue fêter ses vingt-trois ans sur les bords du Baïkal). Il allume des cierges autour de ses petits autels païens. Il part pêcher l'omble et le poisson-chat au milieu de trous percés dans la glace. Il bivouaque sur les hauteurs avec deux chiens indigènes (toujours armé d'un pistolet lance-fusée pour éloigner les ours) et il sniffe de l'acide formique pour se donner un supplément de sensations... Le résultat : un livre tout simplement essentiel !

jeudi 4 septembre 2014

Théorème de la peur (Greg Child)


Théorème de la peur est un livre envoûtant. Derrière ce titre se tient Greg Child, alpiniste aux vies multiples qui a notamment conquis les plus hauts sommets de l’Himalaya. Ces expériences lui ont fait évidemment connaître la peur que l’homme peut éprouver lorsqu’il est livré à une nature hostile. C’est là un phénomène difficile à évoquer par le seul artifice de l’écriture et Child en est conscient. Néanmoins, on vibre avec lui à l’évocation de ces combats d’avant-garde, menés loin du monde des hommes, du bruit et de la sécurité.
Child a fréquenté bien des figures majeures de l’alpinisme extrême. Certains tapageuses, d’autres plus discrètes ou plus humbles. Un type comme Don Whillans ne se singularisait pas par ses exploits mais par ses bons mots (Child le qualifie de « héros de la classe ouvrière »). Jim Breyer, quant à lui, préférait la compagnie des longues parois du Yosemite où il accomplissait jour après jour son odyssée solitaire.

Au cours de ses pérégrinations à travers le monde, Child rencontra d’autres personnages tout aussi hauts en couleur et qu’il évoque dans son livre pour le plus grand bonheur du lecteur. En lisant ces anecdotes nombreuses rythmées par le danger, la victoire ou la mort, on se dit que Théorème de la peur est assurément plus précieux qu’un manuel de sociologie. De plus, Child sait écrire. « J’ai perdu beaucoup de temps à grimper au lieu d’écrire et perdu beaucoup de temps à écrire au lieu de grimper », confie-t-il dans sa préface. Nous ne lui reprocherons pas de n’avoir pas tranché entre ces deux aspects de sa personnalité.

L'Or (Blaise Cendrars)




Il est des destins exceptionnels. Tel celui de l'Allemand Johann August Suter qui émigra vers la Californie où il construisit un empire. Mais le destin a des tours et détours quelquefois surprenants. Ainsi, cette pépite trouvée en janvier 1848 sur les terres de l'homme qui fut considéré un temps comme l'un des plus riches du monde, et qui déclencha la ruée vers l'or. Ruiné par l'or ! c'est le paradoxe qu'aura à connaître Suter. Sur ses terres s'édifiera illégalement la ville de San Francisco. Dépossédé, il passera le reste de sa vie à demander justice. Sur le ton du récit et du reportage, le poète Cendrars met en scène cette histoire vraie dans ce qu'elle a de tragique. Elle souligne les travers de la nature humaine quand la cupidité s'invite.