mardi 19 juillet 2022
Horizons intérieurs (Raymond Espinose)
Que de thèmes traités sous cet oxymorique titre ! Horizons intérieurs se présente sous la forme d’une sorte de bréviaire, bien plus qu’un simple recueil de textes, où l’écrivain met en scène ses passions, ses obsessions, ses enthousiasmes, aussi bien que ses aversions. Anarchiste, sportif, abstème, romancier, essayiste, poète, biographe, Espinose aborde les sujets les plus divers en témoignant de la grande culture qui est sienne mais aussi d’une curiosité et ouverture d’esprit remarquables. Lire, voir, écouter, vivre, c’est l’honnête proposition d’un corps sain habité par un esprit sain. Que soient évoqués Jacques Dufilho, Malaparte, Stirner, Morand, Giraudoux, Dominique de Roux, Karajan ou Pierre Schoendoerffer (liste très loin d’être exhaustive), ou que soit traité de la mort, de la religion, de l’anarchisme ou du côté tragique de la vie, Raymond Espinose nous passionne et vise juste, en particulier s’il faut déboulonner quelques fausses idoles, adoptant le côté anarque de Jünger qu’il affectionne tant. Une voix qu’il fait bon entendre résonner – et raisonner – dans un paysage dont les horizons entrent souvent en cohérence avec les nôtres.
Les Templiers du prolétariat (Alexandre Douguine)
Les premières pages de ce livre traitent du national-bolchévisme, mouvement pulvérisant les valeurs figées de la droite et de la gauche pour les réunir, et dont Douguine fut à l’origine avec Edvard Limonov (deux opposants à la Russie de Poutine). À travers le côté traditionaliste de ce mouvement, ennemi de la société ouverte et du libéralisme, se révèle l’âme russe, ainsi que le rôle sacré et messianique de cette grande nation. Douguine revient ensuite régulièrement sur l’importance de la religion orthodoxe, que les années de communisme n’ont pas mise à bas, et qui fait que son pays peut être naturellement associé à une troisième Rome. Et il ne peut s’empêcher de voir, dans l’Europe décadente et la société occidentale dans son ensemble, un réel problème pour la Russie dotée d’un destin supérieur. Il est passionnant et instructif de le suivre dans le développement de sa pensée, où il n’est pas trop mal accompagné puisqu’il convoque des figures comme celles d’Evola, de Guénon, de Parvulesco, de Debord, Crowley, Jünger ou Dostoïevski. Par-delà les questions de la tradition, il traite également du fascisme, de la paysannerie, du prolétariat (le titre de l’ouvrage n’étant que celui d’un texte parmi les autres qui composent celui-ci) ou du chamanisme ! Mais l’âme russe c’est aussi la littérature et le théâtre, dont l’auteur nous fait découvrir quelques récalcitrants et dissidents encore peu connus par chez nous ou trop partiellement. Une lecture instructive, traversée par les notions d’identité et de sacré qui nous parlent résolument.
Le Parthénon (François Queyrel)
Histoire mouvementée que celle du Parthénon. C’est à se demander comment ce monument de la mémoire européenne est encore debout. François Queyrel, spécialiste de l’archéologie grecque, nous livre tout ce qu’il convient de savoir sur cette institution vieille de plus de vingt-cinq siècles, refuge d’Athéna Polias, déesse de la cité et de la victoire, et symbole de notre histoire. L’édifice a subi les outrages du temps, mais également des invasions et des batailles. Ses frises ont été saccagées, démantibulées, dispersées dans divers musées. Queyrel a procédé à une reconstitution des quatre frontons, en particulier grâce au travail d’un artiste qui les a reproduites avant l’explosion de 1687 – alors que le monument, occupé par les Ottomans, servait de dépôt de munitions ! – et, entre autres déprédations, le pillage du Britannique Elvin.
Une étude intéressante qui s’attarde peut-être un peu trop sur la description des frises mais qui a le mérite de ne rien omettre de l’histoire comme du devenir du monument ancré dans le sol sacré de l’Acropole. « Le Parthénon, incarne véritablement les dieux d’Athènes en les liant à la Terre mère », écrit Queyrel. Aujourd’hui, il est pour nous bien plus que cela ; souvent pillé, dégradé, profané, mais toujours debout !
1939-1945, une enfance en sursis (Jean-Claude Favrit)
Comme le précise le sous-titre de l'ouvrage, l'auteur avait douze ans en 1938 et il a vu la guerre arriver. Et puis le malheur, les privations, les cataclysmes. De ces années, Jean-Claude Favrit (père de notre collaborateur Bruno Favrit) se souvient précisément. Il en a rédigé la narration, au grand âge de 93 ans, avec une hauteur de vue qui permet d'apprécier les événements dans toute leur dimension, ainsi que les conséquences qu'ils portaient en eux. Riche d'enseignements, d'anecdotes et de réflexions, cette Enfance en sursis permet aussi de réviser l'Histoire, mise en perspective avec un récit efficace, sans pathos mais émouvant et attachant.
La Nostalgie du sacré (Michel Maffesoli)
Michel Maffesoli continue à porter son regard sur ce monde qui bascule, sortant d'une modernité agonisante pour entrer dans une ère qui n'en est pas moins exempte d'incertitudes. Ce seul basculement réjouit le sociologue. Il en attend beaucoup, peut-être un peu trop. Mais il est intéressant de le suivre dans ses multiples développements à l'heure où les mentalités universalistes continuent d'idéaliser un monde « en mouvement », où évolue un individu égalisé et hors sol. Car il faut bien se rendre à l'évidence, cette modernité finissante croule sous le poids de la morale, des interdits, des tabous et de la repentance. L'entrée dans la postmodernité est, autant que faire se peut, supposée nous débarrasser de toutes ces vieilles lunes. Elle est plus particulièrement marquée par le retour du sacré. Qui s'exprime essentiellement dans le catholicisme et son incontestable côté polythéiste – entre autres, le culte de la mère et des saints. Ici se tient en effet le réceptacle des traditions et du génie artistique européen. Si Maffesoli avance des analyses parfois discutables, en particulier sur la résurgence des traditions et un regain des pratiques religieuses auxquels il déclare assister, son essai constitue néanmoins un fécond moment de lecture.
La vacance (Raymond Espinose)
La Lettre à Helga (Bergsveinn Brigisson)
Parvenu au soir de sa vie, Bjarni confie à Helga les sentiments qu'il éprouvait pour elle quand il élevait ses brebis au cœur de l'Islande sauvage. Le sujet pourrait paraître banal mais la puissance de l'écriture donne au livre de Brigisson toute sa saveur. Ce court roman épistolaire relate aussi l'histoire d'un homme partagé entre l'amour de la terre ancestrale et la pressante « nécessité » d'aller vivre à la ville, de céder à ses instances et tentations. Un récit, peut-être inspiré de La faim, premier roman de Knut Hamsun, tant on retrouve des similitudes entre les deux narrateurs qui semblent se complaire dans leur condition en éprouvant de réelles difficultés à analyser la conduite ambiguë qui les anime. Singulier récit mais plein de souffle, d'air pur et de poésie. Ce qui suffit déjà à nous le rendre attachant.