« Il est temps de quitter la
ville et de tirer sur les discours le rideau des forêts. »
Voilà le journal de bord d'un
refuznik au pays des moujiks, un livre dont on ne peut
évidemment que se réjouir, tant il est rare qu'une telle
littérature soit proposée à un large public et de surcroît
récompensée par un prix (Médicis essai 2011). Ce diable de Tesson,
wanderer égaré dans un siècle qui n'est assurément pas fait pour lui, est parti se mesurer à la vie dans
les bois. Six mois de quasi isolement au bord du lac Baïkal dans une
cabane de 3 mètres sur 3. Pour affronter la solitude, et d'abord
celle de l'hiver, Tesson a fait provision, de littérature de bonne
tenue : Jünger, Nietzsche, Montherlant, Drieu, D. H. Lawrence,
Déon, Mishima, Érik
L'Homme, entre autres. (Et il met en exergue de son récit une
citation de Hamsun, ce qui n'a, là encore, vraiment rien pour nous
déplaire.) Également
dans son barda : cigares cubains et litres de vodka Kedrovaïa...
qu'il ne va pas consommer très modérément. Cette « partition
du recours au forêts » est haute en couleur, enjouée, parfois
traversée par des peines (la dulcinée de l'auteur restée en Europe
envoie à celui-ci un message de rupture sur son téléphone
satellite) et jamais ennuyeuse. Le journal de Tesson, rapporte
également ses rencontres avec des pêcheurs, des gardiens du parc,
parfois même des touristes égarés.
L'occasion pour le lecteur de savourer quelques
moments de dialogues hauts en couleur et de convivialité alcoolisée
– c'est possible, même au fin fond des forêts de Sibérie. Les
locaux ont leurs idées sur la décadence française qui les désole
et les afflige. Ils plaignent sincèrement l'auteur de vivre en son
pays au milieu des Arabes et des homosexuels (sic)... Mais, d'une certaine
manière, celui-ci compatit : « Ce soir, vidant les
bouteilles avec les coureurs de la Taïga, je choisis mon camp. Pour
les dieux, les princes et les bêtes, et contre le code pénal ! »
On se délectera aussi et surtout en ces pages de réflexions sur
l'érémitisme que n'auraient déconsidérées
ni Whitman ni Thoreau. À
ce titre, Tesson est animé d'un « sentiment légèrement
euphorisant de tenir un rôle de veilleur en marge d'une humanité
dévoyée ». Il se plaint seulement de ne pas recevoir de
visites féminines impromptues (du genre championne de ski danoise
venue fêter ses vingt-trois ans sur les bords du Baïkal). Il allume
des cierges autour de ses petits autels païens. Il part pêcher
l'omble et le poisson-chat au milieu de trous percés dans la glace.
Il bivouaque sur les hauteurs avec deux chiens indigènes (toujours
armé d'un pistolet lance-fusée pour éloigner les ours) et il
sniffe de l'acide formique pour se donner un supplément de
sensations... Le résultat : un livre tout simplement
essentiel !
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