vendredi 5 septembre 2014

Dans les forêts de Sibérie (Sylvain Tesson)


« Il est temps de quitter la ville et de tirer sur les discours le rideau des forêts. » Voilà le journal de bord d'un refuznik au pays des moujiks, un livre dont on ne peut évidemment que se réjouir, tant il est rare qu'une telle littérature soit proposée à un large public et de surcroît récompensée par un prix (Médicis essai 2011). Ce diable de Tesson, wanderer égaré dans un siècle qui n'est assurément pas fait pour lui, est parti se mesurer à la vie dans les bois. Six mois de quasi isolement au bord du lac Baïkal dans une cabane de 3 mètres sur 3. Pour affronter la solitude, et d'abord celle de l'hiver, Tesson a fait provision, de littérature de bonne tenue : Jünger, Nietzsche, Montherlant, Drieu, D. H. Lawrence, Déon, Mishima, Érik L'Homme, entre autres. (Et il met en exergue de son récit une citation de Hamsun, ce qui n'a, là encore, vraiment rien pour nous déplaire.) Également dans son barda : cigares cubains et litres de vodka Kedrovaïa... qu'il ne va pas consommer très modérément. Cette « partition du recours au forêts » est haute en couleur, enjouée, parfois traversée par des peines (la dulcinée de l'auteur restée en Europe envoie à celui-ci un message de rupture sur son téléphone satellite) et jamais ennuyeuse. Le journal de Tesson, rapporte également ses rencontres avec des pêcheurs, des gardiens du parc, parfois même des touristes égarés. L'occasion pour le lecteur de savourer quelques moments de dialogues hauts en couleur et de convivialité alcoolisée – c'est possible, même au fin fond des forêts de Sibérie. Les locaux ont leurs idées sur la décadence française qui les désole et les afflige. Ils plaignent sincèrement l'auteur de vivre en son pays au milieu des Arabes et des homosexuels (sic)... Mais, d'une certaine manière, celui-ci compatit : « Ce soir, vidant les bouteilles avec les coureurs de la Taïga, je choisis mon camp. Pour les dieux, les princes et les bêtes, et contre le code pénal ! » On se délectera aussi et surtout en ces pages de réflexions sur l'érémitisme que n'auraient déconsidérées ni Whitman ni Thoreau. À ce titre, Tesson est animé d'un « sentiment légèrement euphorisant de tenir un rôle de veilleur en marge d'une humanité dévoyée ». Il se plaint seulement de ne pas recevoir de visites féminines impromptues (du genre championne de ski danoise venue fêter ses vingt-trois ans sur les bords du Baïkal). Il allume des cierges autour de ses petits autels païens. Il part pêcher l'omble et le poisson-chat au milieu de trous percés dans la glace. Il bivouaque sur les hauteurs avec deux chiens indigènes (toujours armé d'un pistolet lance-fusée pour éloigner les ours) et il sniffe de l'acide formique pour se donner un supplément de sensations... Le résultat : un livre tout simplement essentiel !

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