Le
Tocqueville de la Démocratie en Amérique et l'Ancien
Régime et la Révolution a témoigné d'une haute vue sur les
caractéristiques de la démocratie. Il n'a pas vu que ses qualités.
Il est vrai qu'à l'époque, il se penchait sur un phénomène
politique jeune et en plein développement (même s'il eut des
précurseurs du côté de l'Antiquité). Mais ses remarques demeurent
actuelles. Et Pierre Manent défriche le terrain avec une analyse
objective de l'oeuvre d'un grand visionnaire.
A
la démocratie aristocratique athénienne, la modernité substitue un
régime où les droits de l'homme priment sur ses fins. Tocqueville
écrit, à l'appui de cette idée : "L'égalité place les
hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les
retienne." D'où la nécessité de permettre et favoriser la
constitution d'un tissu associatif pour relier des individus que
l'égalité tend à plonger dans l'indifférenciation. Ce manque de
sens fait que le citoyen ne se contente jamais de l'égalité : tôt
ou tard il veut organiser une concurrence qui elle-même engendre de
nouvelles inégalités que la démocratie est appelée à corriger,
et ainsi de suite. Tocqueville rappelle que liens sociaux naturels se
sont réfugiés dans la famille et dans le clan, le reste n'étant
qu'artifices et conventions. Car si les hommes de la démocratie
formelle sont égaux, la démocratie réelle montre qu'ils ne se sont
pas (il y a aussi des inégalités intellectuelles). Aussi,
l'individu balance entre une démocratie de principe, perpétuellement
menacée, contredite et fragilisée par la réalité, et une
aristocratie dans laquelle il ne veut pas replonger. A côté de
quoi, il n'est pas à la hauteur de sa liberté. Tocqueville note à
juste titre: "il n'y a rien de moins rêveur que les citoyens
d'une démocratie". Et l'on est tenté d'approuver.
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