jeudi 4 septembre 2014

Tocqueville et la nature de la démocratie (Pierre Manent)


Le Tocqueville de la Démocratie en Amérique et l'Ancien Régime et la Révolution a témoigné d'une haute vue sur les caractéristiques de la démocratie. Il n'a pas vu que ses qualités. Il est vrai qu'à l'époque, il se penchait sur un phénomène politique jeune et en plein développement (même s'il eut des précurseurs du côté de l'Antiquité). Mais ses remarques demeurent actuelles. Et Pierre Manent défriche le terrain avec une analyse objective de l'oeuvre d'un grand visionnaire.
A la démocratie aristocratique athénienne, la modernité substitue un régime où les droits de l'homme priment sur ses fins. Tocqueville écrit, à l'appui de cette idée : "L'égalité place les hommes à côté les uns des autres, sans lien commun qui les retienne." D'où la nécessité de permettre et favoriser la constitution d'un tissu associatif pour relier des individus que l'égalité tend à plonger dans l'indifférenciation. Ce manque de sens fait que le citoyen ne se contente jamais de l'égalité : tôt ou tard il veut organiser une concurrence qui elle-même engendre de nouvelles inégalités que la démocratie est appelée à corriger, et ainsi de suite. Tocqueville rappelle que liens sociaux naturels se sont réfugiés dans la famille et dans le clan, le reste n'étant qu'artifices et conventions. Car si les hommes de la démocratie formelle sont égaux, la démocratie réelle montre qu'ils ne se sont pas (il y a aussi des inégalités intellectuelles). Aussi, l'individu balance entre une démocratie de principe, perpétuellement menacée, contredite et fragilisée par la réalité, et une aristocratie dans laquelle il ne veut pas replonger. A côté de quoi, il n'est pas à la hauteur de sa liberté. Tocqueville note à juste titre: "il n'y a rien de moins rêveur que les citoyens d'une démocratie". Et l'on est tenté d'approuver.


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